Madina dans la Médina

Joueuse de kora

Dans le quartier de Médina, à Bamako, rencontre avec Madina Ndiaye, seule Malienne à jouer de la kora, un instrument traditionnellement joué par les hommes des familles griotiques. Retour sur le parcours d’une femme hors norme, dont l’engagement musical est le moteur primordial ...

Pour arriver chez Madina Ndiaye, il faut longer les voies rapides, traverser le marché de la Médina, se faufiler entre les carcasses de voitures du quartier des mécanos. Puis monter quatre à quatre les marches d’un immeuble carrelé de blanc, s’arrêter au deuxième. Tout de suite, en face, une porte ouverte, celle de Madina Ndiaye. A l’intérieur, l’unique joueuse de kora du Mali est là, assise sur son lit. Elle converse et plaisante avec famille et voisinage...

Dans la grande famille des musiciens de Bamako, Madina est présentée comme une forte tête. Passionnée par la kora, elle décide, à la fin des années 80 de braver les foudres de la tradition qui réserve le jeu de la kora aux hommes de caste griotique. Tout commence à l’Institut des Jeunes Aveugles du Mali où, inscrite à l’année pour soigner ses yeux, elle fait des premières scènes, et des rencontres de taille comme Salif Keïta ou Alpha Blondy.

La kora, une affaire de familles

Elle s’acharne ensuite dans l’apprentissage de la kora auprès des maîtres du genre : la famille Diabaté, d’abord, en commençant par Toumani, et ses frères, puis la famille Cissoko, avec Ballaké, bientôt trop occupé et qui confie son éducation musicale à ses frères. L’apprentissage de la kora au Mali est définitivement une affaire de famille.

Madina Ndiaye, personnalité atypique, se crée la sienne dans les couloirs de l’INA, l’Institut National des Arts de Bamako, passage obligé de bien des musiciens maliens. Elle n’intègre pas l’école mais trouve auprès de Do Dembélé des conseils et une approche nouvelle de son instrument. "Un jour, il était sur les nerfs et il m’a dit : Madina, tu ne sais pas accorder ton instrument ? Mais tu ne sais pas jouer alors ! et il a retiré toutes les cordes. J’ai appris à les remettre, et puis finalement à tout faire". A l’INA, raconte-t-on, elle arrive la première et part la dernière, alors qu’elle ne suit pas officiellement le cursus.

A force d’assiduité, elle se perfectionne dans la maîtrise de la kora à 21 cordes et dans celle du kamele n’goni, le "n’goni des jeunes", à huit cordes, traditionnellement joué lors des fêtes ou des mariages. Puis elle apprend la confiance en ses doigts et son jeu. "Do Dembélé m’a dit un jour : tu peux travailler ton propre style en dehors de Toumani ou Ballaké, faire tes propres compositions...Et je me suis mise à travailler et à chanter pour les droits des femmes, notamment".

Question de reconnaissance

En 2002, Madina perd définitivement la vue et redouble d’acharnement dans la maîtrise de son instrument. "J’ai perdu la vue, mais je n’ai pas perdu la vie" insiste-t-elle, et la kora permet de prendre la parole, de se positionner par rapport à une société malienne, pas toujours progressiste. "Je ne pourrai même pas me rappeler de tout ce que j’ai entendu sur mon compte, et d’ailleurs tant mieux, je ne préfère même pas !".

Madina continue sa route et part en tournée française en 2003, elle joue ses propres compositions avec un balafoniste. Au retour, il est temps pour Madina de sortir un album. Elle travaille son jeu, le timbre si particulier de sa voix, et enregistre en 2004 chez Yves Wernert au Studio Bogolan de Bamako son premier album signé chez Mali K7. Un an plus tard, Bimogow sort en France chez Sound of World...

Quand on demande à Madina si elle travaille sur un second album, elle répond sans détour : "Je n’ai pas profité de mon premier album. Je n’ai fait aucune promo et si mon album est au marché, moi je galère ici ! Je ne fais quasiment pas de concerts au Mali, excepté au CCF, et c’est seulement à l’extérieur que j’ai la reconnaissance !". Madina est comme beaucoup de musiciens maliens, boudée par le public national et sollicitée à l’extérieur – en France, en Italie, en Guinée...

Pourtant ses pairs reconnaissent ses qualités de musicienne. Elle a enregistré avec la formation sans frontières Lo’jo et en 2005, a tourné avec Djélimady Tounkara, Boubacar Traoré, ou Ba Cissoko. Début décembre 2006, Madina a été nominée aux Tamani d’or, les Victoires de la musique malienne dans la catégorie "musique d’inspiration traditionnelle". Récemment, le groupe français, les Ogres de Barback, a contacté Madina Ndiaye pour participer à leur prochain album pour un morceau sur l’émigration. Un thème cher à Madina Ndiaye, pour qui l’engagement, dans la vie, comme dans la musique, est une donnée essentielle... Affaire à suivre.

Madina Ndiaye sera en tournée :
Le 1er mars à Lyon
Le 2 mars au Satellit Café, à Paris
Du 8 au 17 mars en Belgique

Madina N'Diaye Bimo Gow (Sound of world/Harmonia Mundi) 2005

Eglantine Chabasseur