Jam pour Michel Petrucciani

Il y a sept ans, le pianiste Michel Petrucciani s'éteignait. En sa mémoire, les clubs de jazz parisiens de la mythique rue des Lombards ont swingué jusque tard dans la nuit mardi 16. Des souvenirs, de l’émotion et de très bons duos étaient au rendez-vous de cette soirée thématique fort réussie.

Un bel hommage collectif

Il y a sept ans, le pianiste Michel Petrucciani s'éteignait. En sa mémoire, les clubs de jazz parisiens de la mythique rue des Lombards ont swingué jusque tard dans la nuit mardi 16. Des souvenirs, de l’émotion et de très bons duos étaient au rendez-vous de cette soirée thématique fort réussie.

Très tôt, le Sunside est déjà plein à craquer. Le public doit dériver vers les autres clubs associés (le Duc des Lombards et le Baiser Salé), avec l’espoir d’y revenir pour un deuxième set. C’est qu’au Sunside, Frank Avitabile et Aldo Romano exercent un magnétisme époustouflant. Et pour cause : le premier est l'un des pianistes français les plus en vue ces derniers mois, le second, un ancien complice de Michel Petrucciani. Le plus proche sans doute, et le seul à participer à cet hommage. Les fans de jazz gardent en mémoire cette image forte, quand Aldo Romano portait dans ses bras un Petrucciani qui, au sommet de son art, transmutait en musique son émouvante passion de vivre.

Films et souvenirs

Pour faire découvrir ou redécouvrir au public ces moments uniques – et le faire patienter avant le début des concerts - des films consacrés à Petrucciani sont projetés au Sunset et au Baiser Salé. On y voit surtout le jazzman dans sa période "américaine", entouré d’excellents musiciens, dont le saxophoniste Wayne Shorter. Mais, au Baiser Salé, c'est au tour du duo Alain Jean-Marie et Emmanuel Bex d'attirer l'attention. La complicité du pianiste et de l'organiste évoque la fructueuse période du tandem Petrucciani-Eddy Louis. La mémoire s’échappe alors treize ans en arrière, lors d’un enregistrement live à la Maison de Radio France : un moment particulièrement intense pour Petrucciani, qui y enregistrait enfin avec son idole de jeunesse.

Tout aussi inédit, le duo de Bex et Jean-Marie, en ce soir d'hommage, se joue sur une permanente recherche d’équilibre. Se partageant le rôle de soliste et d’accompagnateur, les deux musiciens partent dans des variations mélodiques et des soli enflammés. Deux tempéraments opposés qui se retrouvent autour d'un jeu tout en alternance, mené avec une sensible écoute mutuelle. Après une ouverture avec Sous le vent, c’est avec Looking Up que l’entente entre les deux claviers s’installe.

Ce même Looking Up sert au quartette de Ludovic de Preissac pour enthousiasmer le public du Duc des Lombards (le morceau qui l’a rendu célèbre, dit-il). La main droite sur un clavier Hammond, la gauche sur celui du piano, de Preissac revisite son hommage personnel à "Petru", enregistré il y a trois ans. Des morceaux choisis parmi les plus cantabile et dansants du répertoire Petrucciani, dont Brazilian Suite, Brazilian Like, mais aussi Home. Si la sensibilité, l’apparente simplicité et la lisibilité mélodique sont des caractéristiques que de Preissac apprécie chez Petruciani, ses improvisations solitaires n'en sont pas moins empreintes de limpidité et de swing. Ça se fête avec La Champagne (titre et boisson que Petrucciani aimait beaucoup) et un solo spectaculaire du saxophoniste Francesco Bearzatti.

Un final explosif

Au Baiser Salé, Bex et Jean-Marie fêtent la Petite Louise avec My Bebop Tune, morceaux que Petrucciani garda longtemps parmi les favoris de son programme. D'une ambiance ludique et exaltée, on passe à un jeu plus intériorisé, presque onirique. Le tempérament retenu et introspectif du pianiste martiniquais se manifeste alors avec plus d’aisance. Cet hommage en entraîne un autre : avec Chant de Noël, écrit par Bex, le duo salue aussi la mémoire de Michel Grailler, le plus regretté des pianistes de jazz parisiens, disparu en 2003.

Trois heures plus tard, le Sunside ne désemplit pas. Musiciens, journalistes, producteurs, continuent à disputer aux amateurs les places à peine libérées. Avitabile épate par sa touche élégante et son jeu sophistiqué, tandis que la finesse de frappe et un certain détachement de Romano donnent à ce concert une forte dose de nuances et de musicalité. Dans ce trio, c’est le bassiste Diego Imbert qui, au centre, a l'air d'être le plus concentré et le plus exigent. D’un côté, Avitabile s’embarque dans des aventures qui l’emmènent aux extrêmes du clavier, ses mains véloces et ludiques montant et descendant sur les touches ; de l’autre, Romano joue l’économie et la détente. L’exercice devient agréable, amusant même. La musique gagne en légèreté. Après quelques Short Stories d’Avitabile, la fin est un jeu d’artifices percussifs. Une course poursuite rythmique sur un thème standard sciemment transfiguré. Le plaisir s’impose comme une évidence. Bref, un final faste, pour un hommage largement mérité au plus petit des grands pianistes, disparu le 6 janvier 1999 à 36 ans.