Ma dernière free party
Soirée techno hardcore au Zénith à Paris
7000 personnes rien qu’avec le bouche à oreille. Le collectif Hérétik a remporté son pari ce samedi 10 février au Zénith de Paris : remplir une salle traditionnelle avec un public féru de free parties, ces rassemblements le plus souvent illégaux, gonflés de techno hardcore. Bridé par les tracasseries juridiques, le mouvement a bien du mal à retrouver son esprit libertaire d’origine. Point d’orgue avant le chant du cygne ? Immersion dans onze heures de sons !
"Je ne sais plus où je suis, je cherche tout le monde !" Derrière le désordre apparent, on devine une organisation bien rôdée.
Sans aucun salarié, la vingtaine de membres du collectif Hérétik tient son timing. Comme prévu, les portes s’ouvrent au public à 20h30. Amples guenilles, piercings, bouteilles d’eau remplies de mélanges aux senteurs exotiques, la foule exulte une fois le tourniquet franchi. Il y a de quoi. Pour la première fois, le Zénith accueille une soirée quasiment entièrement dédiée à la techno hardcore. Manu le Malin en tête, une quinzaine de DJs vont pilonner la foule jusqu’à 8 h du matin.
Dee Nasty, pionnier du hip hop en France, entame le marathon. Un mélange des genres voulu par les organisateurs. Si Hérétik s’est formé il y a 11 ans autour d’une techno aussi minimaliste que violente, les esprits ont évolué depuis. Krs, un des membres du collectif, confirme : "Progressivement nous nous sommes ouverts à d’autres styles. Ce soir nous voulons partager notre sens de la fête avec aussi des groupes métal comme Punish Yourself." Pas bégueule, le public salue l’énorme prestation d’un des groupes les plus mésestimés du rap français : Svinkels. Avec des slogans tels que "Jette ton sexe en l’air", le quatuor adore brouiller l’écoute. La gauloiserie et la provocation élevées au rang d’œuvre d’art. Chauds comme une baraque à frites, les premiers rangs plient dangereusement la rambarde de sécurité.
Cracheurs de feu, robots danseurs et guêpière de cuir
Au dernier morceau, un "pied" techno émerge de la deuxième scène du hall. Les plus affamés s’engouffrent. Electro tendance psychédélique. Le décollage s’effectue en douceur, on peut encore discuter face aux enceintes ! 10 minutes plus tard, l’ambiance est tout autre dans la grande salle. Assaut de décibels, beat bien binaires, boucles corrosives en action. Depuis le début de son aventure, Hérétik a toujours collaboré avec des troupes de théâtre ou de performers. Ce soir, outre des cracheurs de feu, des danseurs robotiques, on peut assister à cette pièce surréaliste sur scène. Quatre personnages en combinaison antiradiation style Tchernobyl coursent un bel ouvrier au casque immaculé. Ils lui arrachent ses vêtements, le poussent à terre. Montant sur des podiums, ces créatures se délestent de leur étoffe pour laisser apparaître des femmes en cuir et guêpières. Poses suggestives à l’appui. Sur scène le délire continue : des hommes encagoulés avec combinaisons noires tentent de chasser ces viles tentatrices. Elles ressurgissent armés de canons à confettis.
Au stand de la Croix Rouge, on ne signale pas plus de malaise qu’à un concert de M Pokora, même si les symptômes ne se ressemblent en rien. Trop souvent stigmatisée pour ses débordements chimiques, la communauté des teufeurs affiche ce soir un sourire radieux sur une mâchoire crispée. L’esprit bon-enfant prédomine. "C'est la seule sortie payante qu’on fait", avouent Yoann et Marine. Habituellement, ils ne suivent que les free parties. "C’est sur, le Zénith ça casse le mythe mais tant qu’ il y aura des affiches comme ça, on s’en fout de payer !"
Un gommage aux décibels
En investissant cette salle, Hérétik voulait terminer son aventure en beauté. Devant le succès de la soirée, ses membres semblent moins emballés par l’idée de tirer un trait. A voir la force de ce rassemblement, on pourrait même se demander si les free ne devraient pas intégrer les réseaux de diffusions traditionnels. Et si cette teuf, un peu particulière, était un tournant ? Krs, l’un des organisateurs, admet que le mouvement est ligôté par des lois très contraignantes. Manu le Malin, le héraut de la scène hardcore, ne voit lui ni le début ni la fin d’une aventure. Il concède pourtant que les teknivals, ces grands rassemblements de 50 à 60000 personnes n’ont plus grand sens. Pour Pan, organisateur de free quasi-hebdomadaires en Essonne, le salut passera, comme lors des débuts, par la mobilité. 80 à 100 teufeurs qui se réunissent sans promotion et sans force de l’ordre. Adepte lui aussi des fêtes "discrètes", Fred, venu de Seine-Maritime, voit un énorme avantage à cette soirée parisienne : le brassage des populations. Quasi inexistant en France, alors qu’il est lot commun en Belgique ou au Pays-Bas.
Rejeté comme pouvait l’être le métal à la fin des années 1970, le mouvement hardcore a prouvé qu’il pouvait basculer vers la lumière sans perdre son âme. Il faut espérer que d’autres suivront l’initiative d’Hérétik. Dans la salle, le public ne semble pas prêt de lâcher. Dépassant la rusticité rebutante du style et le volume sonore, les corps balancent sous les coups de boutoir du DJ. Comme un grand moment de purification, de totale liberté… en toute légalité.
Ludovic BASQUE