Céline Caussimon
Avec ses historiettes au cynisme ravageur, pourtant pleines de tendresse que l'on retrouve dans son dernier album Le Moral des ménages, la chanteuse et comédienne Céline Caussimon fait de ses chansons un espace de résistance en marge de la société de consommation et de la culture devenue "loisir".
Des tableaux dans l'oreille
Avec ses historiettes au cynisme ravageur, pourtant pleines de tendresse que l'on retrouve dans son dernier album Le Moral des ménages, la chanteuse et comédienne Céline Caussimon fait de ses chansons un espace de résistance en marge de la société de consommation et de la culture devenue "loisir".
"Le moral des ménages" : l’expression banalisée circule en libre-échange. Dans les pages des journaux, sur les écrans de télévision, dans les discours politiques. Parole usée. "Qui prétend connaître mon moral ?", s’étonne la chanteuse Céline Caussimon, fille du comédien, poète, chansonnier, auteur et compositeur Jean-Roger Caussimon. Pour cette brune aux yeux tout ronds, parole douce et rire ravageur, le lieu commun se heurte à l’énigme - mais qu’est ce que c’est ?!? Céline affronte donc le mystère et décline, en quatorze chansons, sa version poétique du Moral des ménages, rappel de ce monde où l’être se résume à sa capacité d’achat.
Couleurs acidulées, sel, piment, paillettes, saupoudrent des saynètes profilées derrière le mur des maisons, des historiettes croquées au vitriol sauce humour noir, mais savourées avec gourmandise. L’auditeur se régale, car Céline joue. Jongle. Incarne. Peint ce qu’elle appelle des "tableaux dans l’oreille". Ce troisième album naît d’une résidence à la Scène Nationale d’Evreux en 2005. Le spectacle existe déjà : pour l’interprète, "tout part de la scène". Quoi de plus naturel en effet pour une actrice ? Car si Céline chante depuis une dizaine d’années, elle brûle les planches, à l’origine, comme comédienne. Une profession qu’elle continue d’exercer en parallèle.
Deux métiers, donc, non exclusifs, qui se répondent et se ressemblent : "monter sur un plateau pour raconter des histoires." Sauf qu’avec la chanson, elle s’arme "de ses mots, à elle", quand l’actrice joue au service des autres. "Parfois j’interprète sans conviction, cela requiert un énorme dévouement. Si une chanson ne me plaît pas, j’en suis l’unique responsable." Un art qu’elle conçoit donc "solitaire" et "personnel", et au travers duquel elle s’exprime : anecdotes barbouillées dans un coin de tête ou sur un coin de table. "J’ai fait des essais moins concluants, comme l’écriture dramatique. Sans succès. La chanson, art immédiat, simple d’accès, mais pas simple à faire, permet de véhiculer des idées en trois minutes", souligne cette admiratrice d’Idir et Léonard Cohen, amoureuse des chansons, peu en importe la langue.
Depuis Les folies ordinaires en 1996, Céline Caussimon affine son univers, le délimite, le pare de couleurs plus nuancées : "Je cible avec plus de précision ce que je cherche à exprimer. Le métier rentre. J’ose. J’apporte des réponses." Ainsi, elle ne compose pas mais propose une palette, un éventail sonore. Et gare aux harmonies qui sortent de la cohérence de son univers ! "Cela ne me plaît pas" n’hésite-t-elle pas à dire à son arrangeur. Pour Le moral des ménages, Céline Caussimon délaisse le piano : "J’étais lassée de son spectre harmonique qui englobe tout, de son envahissement sonore et spatial, de sa symbolique dans la culture française, de son évidence dans la chanson à texte." Elle opte pour des sonorités plus grinçantes et rythmiques : accordéon, banjo.
Pour le reste, Céline Caussimon s’inscrit dans la lignée de ses précédents disques. Elle "marche au bord" (titre de son second album) : sujets anecdotiques, décalés (Pas dans l’sens ; Point-poste) qui pourtant visent l’essentiel. "Il faut être à l’écoute de ses émotions, même les plus petites, les plus banales . Si elles nous touchent, c’est qu’elles résonnent avec des idées importantes". Voici sa façon de s’engager, de répondre à un monde qui parle pour ne rien dire - parole de la vacuité et langue de bois -, de faire aux médias ce pied-de-nez, cette irrévérence polie mais grinçante à coups de portraits d’un quotidien, d’un ordinaire, où s’insinuent quelques folies. "S’ il n’y a pas de colère, il n’y a pas de chanson." L’ironie, le cynisme, la dérision (Le Moral des ménages, Cerveaux dispos) côtoient pourtant l’infinie tendresse (Caressons-nous), et la distance s’accorde à l’investissement émotionnel : "J’aime les gens et l’humanité. Je les mets en garde pour qu’ils ne se laissent pas aveugler."
Voilà, Céline cherche sa place dans cette musique "omniprésente", "ce grand puzzle" dont elle est au mieux "une pièce". "Si je monte sur un plateau, c’est que je me suppose assez intéressante pour mobiliser des gens, qu’ils se taisent et m’écoutent : je dois assumer cet ego démesuré ; être à la hauteur de la prétention. C’est un cadeau à chaque fois que je foule la scène. Surtout au fin fond d’une campagne devant une poignée de personnes. Ils ont pris le risque de venir voir quelqu’un qu’ils ne connaissaient pas. Et lorsque le spectacle atteint ce moment de partage entre l’artiste et le public, c’est important."
Céline Caussimon Le moral des ménages (Le Chant du monde / Harmonia Mundi) 2007
Du 12 au 14 mars à l'Olympic café à Paris