Air, la musique seulement

Air vient de connaître un exercice rare pour les artistes français : leur album Pocket Symphony est sorti partout à la fois dans le monde entier. Creusant encore le sillon de Talkie Walkie, le duo continue d’explorer une pop rêveuse, actuelle et obstinément hors normes. Rencontre avec Jean-Benoît Dunckel et Nicolas Godin dans un hôtel parisien, juste avant qu’ils ne s’installent au téléphone pour répondre à des journaux mexicains. 

Hors normes

Air vient de connaître un exercice rare pour les artistes français : leur album Pocket Symphony est sorti partout à la fois dans le monde entier. Creusant encore le sillon de Talkie Walkie, le duo continue d’explorer une pop rêveuse, actuelle et obstinément hors normes. Rencontre avec Jean-Benoît Dunckel et Nicolas Godin dans un hôtel parisien, juste avant qu’ils ne s’installent au téléphone pour répondre à des journaux mexicains. 

RFI Musique : Il s’est passé trois ans depuis Talkie Walkie, votre album précédent. Mais vous n’avez guère chômé : l’album solo de Jean-Benoît, Darkel, l’écriture et l’enregistrement de 5 : 55, l’album de Charlotte Gainsbourg…
Jean-Benoît Dunckel : Sans compter tout ce qui ne sort pas. Certains acteurs de cinéma disent que c’est hygiénique de faire du théâtre. Nous, nous ne pouvons pas faire de disques sans travailler les instruments, sans nous tenir au courant, sans s’occuper de soi pour ne pas tomber malade – en tournée, il faut rester en forme, on est comme des cosmonautes (rires).
Nicolas Godin : Il faut se nourrir. Sinon on arrive au cliché du disque qui ne parle que des chambres d’hôtel et de la vie de tournée. On est obligé d’avoir des side projects, d’aller à des expos, de voir des films, d’écouter plein de disques, d’analyser plein de chansons. Et puis j’ai appris les instruments japonais…

Justement, vous jouez du koto ou du shamisen sur plusieurs titres.
Nicolas Godin : C’est quelque chose qui germait en nous depuis des années, un style musical qui était induit dans plein de chansons et qui n’avait pas encore été porté à son paroxysme. Maintenant, c’est fait, je suis prêt à passer à autre chose.

Comment se passe votre collaboration avec le producteur Nigel Godrich qui en est déjà à deux albums avec vous, outre le disque de Charlotte Gainsbourg ?
Nicolas Godin : C’est compliqué. Il y a des morceaux où il fait tout, des morceaux où il ne fait rien parce qu’il n’y a rien à faire.
Jean-Benoît Dunckel :Entre nous, la non-communication est nécessaire.

Jarvis Cocker (ex-Pulp) et Neil Hannon (Divine Comedy) chantent sur cet album, après avoir collaboré avec vous sur l’album de Charlotte Gainsbourg. Est-ce une nouvelle famille artistique ?
Nicolas Godin : C’est plutôt une sorte d’équipe. Nous nous sommes rencontrés sur l’album de Charlotte et l’occasion fait le larron. On ne s’est pas dit : "qui peut-on avoir comme guests sur notre album ?"

Il y a maintenant dix ans que vous êtes apparus dans le paysage. A quoi attribuez-vous cette longévité exceptionnelle par rapport aux autres groupes et artistes apparus en même temps que vous ?
Nicolas Godin :La majeure partie des groupes appartenaient à un style musical et ce style est passé de mode. Or, même au moment de la grosse hype de la French touch, nous faisions un genre de musique bien particulier. Alors, quand la mode est passée, nous sommes restés. Si on fait partie d’une couleur musicale, on disparait quand les gens en ont marre de cette couleur. Dès le départ, nous étions à l’opposé de la house music, on jouait d’instruments alors que tout le monde avait des samplers. On s’est servi de la French touch comme d’un tremplin mais on était des outsiders – on est outsiders de tout, on sera des outsiders toute notre vie.

Vous avez terminé cet album l’été dernier. Sur quoi travaillez-vous depuis ?
Nicolas Godin : Sur le spectacle Xavier Veilhan (les 6 et 7 avril au Centre Georges-Pompidou : ndlr) qui s’appelle Aérolithe, un concert avec Phoenix à Versailles (sur le Bassin de Neptune, dans les jardins du Château, le 29 juin), on a recruté les musiciens de la tournée sur laquelle on a commencé à travailler.

Une aussi grosse tournée que la précédente ?
Nicolas Godin : Nous allons essayer de casser la routine en allant dans des endroits qu’on a jamais faits, comme la Chine.
Jean-Benoît Dunckel : Une longue tournée espacée de moments de repos, pour la famille.

Est-ce facile de concilier une vie de famille et une carrière internationale comme la vôtre ?
Jean-Benoît Dunckel : Les contraintes ne sont pas spécifiques au métier de musicien. Il y a plein de métiers dans lequel le papa est obligé de partir au loin travailler. La tournée, c’est une organisation un peu militaire dans laquelle il faut tout gérer de façon précise, prendre garde aux pièges de la fête… Mais c’est indispensable à Air de rencontrer son public. Ce qui est génial maintenant, c’est que les morceaux ont vraiment un fondement solide et qu’on prend plaisir à les jouer sur scène.

Il y a encore dans cet album quelques chansons qui semblent impossibles à jouer sur scène…
Nicolas Godin : Il y a plein de morceaux de ce genre. Mais, maintenant, on a un répertoire assez abondant pour pouvoir s’en passer. Mais, au moment de Moon Safari, la moitié de l’album était injouable…

Avez-vous des projets de collaboration, comme celui avec Charlotte Gainsbourg ?
Nicolas Godin : On ne fait jamais deux fois la même chose. Une musique de film, un spectacle de danse, un album pour un autre artiste… A chaque fois, nous abordons un nouveau domaine. L’idée, c’est de voir quelle autre chose pourrait suivre. A priori, ce n’est pas notre vocation d’écrire des chansons pour d’autres artistes.

Et vous voyez-vous faire incursion, vous-mêmes, dans d’autres formes artistiques que la musique ?
Nicolas Godin : Je crois surtout qu’on adore tellement la zique qu’on s’ennuierait ailleurs. Je n’ai jamais regardé le travail de quelqu’un d’autre en me disant que j’aurais envie de le faire. Je lis toute la journée les romans d’Alessandro Baricco mais je ne veux pas écrire de livre, je n’ai aucun goût pour faire autre chose que ce que je fais. A Hollywood, nous avons rencontré les acteurs les plus célèbres de la terre, tous riches comme la reine d’Angleterre, mais rien d’autre ne me fait envie que de faire de la musique.
Jean-Benoît Dunckel : Les acteurs nous ont dit : "Tu as une idée, tu la joues, tu l’enregistres. Moi, je suis obligé d’attendre trois jours pour avoir ma scène à jouer. Et je ne fais que ce qu’on me dit."

Air Pocket Symphony (Virgin-EMI) 2007