CJ Chenier, le gros bras du zydeco

Petit frère jumeau de la musique cajun, mais joué par des musiciens noirs, le zydeco est apparu dans les années 1930 en Louisiane francophone. Plus porté vers le blues que son aîné, ce style qui vient du mot "haricot" reste toujours vivace aux abords du bayou. Clifton Chenier en a été l’un des fers de lance, son fils CJ a repris le flambeau. Il illumine le Jazz Club Lionel Hampton jusqu'au 14 avril.

En concert à Paris

Petit frère jumeau de la musique cajun, mais joué par des musiciens noirs, le zydeco est apparu dans les années 1930 en Louisiane francophone. Plus porté vers le blues que son aîné, ce style qui vient du mot "haricot" reste toujours vivace aux abords du bayou. Clifton Chenier en a été l’un des fers de lance, son fils CJ a repris le flambeau. Il illumine le Jazz Club Lionel Hampton jusqu'au 14 avril.

Paradoxe du lieu : place de la porte Maillot, coin cossu de l’Ouest parisien, l’hôtel Méridien et sa riche clientèle d’affaire. Tout au fond du vaste hall, le Jazz Club Lionel Hampton, bar cosy, qui accueille les pointures de la musique noire. Celle-là même qui grandit dans la pauvreté. CJ Chenier n’en a cure, pour lui son art s’adresse à tout le monde, sans distinction de couleur ou de revenu.

Adapté de la musique blanche cajun, le zydeco a troqué le violon pour l’accordéon. Les interprétations divergent sur l’apparition du nom. Pour certains le terme définissait la population noire du début du XIXe siècle en Louisiane. Trop pauvre pour s’acheter de la viande, elle devait se contenter de "haricots". CJ préfère lui une version moins misérabiliste : "Le zydeco est né lors de House parties, des fêtes privées qui se tenaient dans les maisons et pas dans des clubs. Les gens arrivaient avec du poisson et des haricots. C’est de là que vient le terme."

Accoudé au comptoir, il profite en toute simplicité de l’entame de ses quatre musiciens sur scène. Et on peut dire qu’il y a du spectacle ! Chemise à fleur psychédélique, le bassiste affiche une tête de redneck consommé, le batteur semble lui tout droit sorti d’un groupe de hardcore. Quant au guitariste avec son pantalon trop ample et ses petites lunettes, on le dirait fraîchement inscrit en section lettre classique de la Sorbonne. Seule à faire couleur locale, la préposée aux percussions et au frottoir (planche à laver).

Le bal tragique de Katrina

Voilà pour le délit de faciès ! En trois minutes, les préjugés volent en éclat. La basse est groovy, le guitariste se la donne sans ostentation. La preuve que le blues ne ressemble en rien à une musique de vieux croulant. C’est vivant, ça envoie et ce n’est que le début ! Au troisième titre, CJ Chenier entre en scène. Pectoraux proéminents,  incisive en or rayonnante, il se saisit de son accordéon Baldoni. Rien qu’avec la batterie et le frottoir, on sent que les trois pourraient nous faire tenir toute la nuit. Sa voix éraillée, d’une profondeur abyssale, vous hérisse le dos. En l’espace de dix minutes, le lieu n’a plus d’importance. Les costards-cravates du fond s’enthousiasment progressivement. Beaucoup plus désinhibées dans le coin sur la gauche, les fans se montrent encore plus démonstratives.

Avec leur zydeco, CJ Chenier et le Red Louisiana Band pourrait faire danser n'importe qui. Mais là n’est pas le propos. Le groupe alterne titres réjouissants et morceaux beaucoup plus sombres. L’accordéoniste ne peut oublier le tragique bal où s’est invité l’ouragan Katrina en août 2005. Mille cinq cent victimes, dont la majorité à la Nouvelle-Orléans, des dizaines de milliers de sans abris, l’incurie du pouvoir fédéral…. Avant le passage de la tempête, il avait prévu d’enregistrer un album joyeux, dans la lignée de son Big Squeeze. Il a finalement accouché de The Desperate Kingdom of Love, disque qui oscille entre blues déchirant et morceaux plus enlevés. CJ a pioché dans le répertoire de son père, Clifton, ou celui d’Hank Williams avec un Lost on the river bouleversant, certainement la chanson la plus triste du disque : "L’inondation a été comme un fleuve, nous confiait le musicien avant de grimper sur scène. Tout le monde était ça et là, sans nouvelle des familles et des amis. Personne ne savait rien. Le titre était très approprié."

Entre tristesse et espoir

Autre reprise, la chanson d’ouverture qui donne son nom à l’album. Un morceau initialement composé par la Britannique PJ Harvey, au répertoire très éloigné du zydeko. "Mon agent m’a dit de l’écouter. Je l’ai fait et je me suis dit : 'C’est la Nouvelle-Orléans.' The desperate Kingdom of Love exprime ce que je pense. Cette ville est le royaume de la musique, là où le jazz est né. Mais tout est si désespéré actuellement. Toutes les places avec les grands hôtels et les grandes rues font de l’argent, c’est OK, mais les pauvres n’ont toujours pas de maison, pas d’aide."

Hommage aux morts mais aussi témoignage d’espoir à l’adresse des survivants, cet album offre une demi-douzaine de compositions de CJ Chenier. Même si le ton est grave, sa musique vous propulse. L’homme à la tête de Goofy joue de son piano à bretelle comme Jimi Hendrix de sa six-cordes. Entre ses doigts, l’accordéon est un instrument terriblement rock. Sur scène, il enquille sans forcer pot-pourri traditionnel, mélange folk épicé ou soul abrasive. Musique de déracinés et d’éternels nostalgiques, le zydéco puise ses mélodies dans la terrible déportation qu’à vécu, au XVIIIe siècle,  la population française de la Nouvelle-Ecosse canadienne vers la Louisiane. Même si CJ Chenier ne parle pas une broque de la langue de Molière, sa voix et son instrument expriment, on ne peut mieux, la souffrance du monde. Un langage malheureusement universel.