Ba Cissoko électrisé
Tout en s’inscrivant dans la tradition qu’il a apprise aux côtés de son maître M’Bady Kouyaté, le Guinéen Ba Cissoko souhaite en écrire une nouvelle page, plus en phase avec sa réalité : celle d’un musicien qui a aussi grandi avec les sons urbains. Voilà ce dont parle Electric Griot Land, un disque éclectique où l’on retrouve les saturations trafiquées de la kora de Sékou, les boucles entêtantes de la paire rythmique formée par le bassiste Kourou et le percussionniste Ibrahima Bah, et bien entendu le phrasé mélodique de Ba, tant de la voix qu’à la kora. Rencontre.
Un griot moderne
Tout en s’inscrivant dans la tradition qu’il a apprise aux côtés de son maître M’Bady Kouyaté, le Guinéen Ba Cissoko souhaite en écrire une nouvelle page, plus en phase avec sa réalité : celle d’un musicien qui a aussi grandi avec les sons urbains. Voilà ce dont parle Electric Griot Land, un disque éclectique où l’on retrouve les saturations trafiquées de la kora de Sékou, les boucles entêtantes de la paire rythmique formée par le bassiste Kourou et le percussionniste Ibrahima Bah, et bien entendu le phrasé mélodique de Ba, tant de la voix qu’à la kora. Rencontre.
Comment s’est déroulé cet enregistrement ?
Nous avons répété une semaine à Marseille, notre deuxième maison depuis dix ans. Puis nous sommes partis quinze jours dans un studio à Bruxelles. Nous dormions sur place, ce qui nous a permis de bien travailler du soir au matin. Sabolan, notre premier disque, était la traduction de ce que l’on savait faire sur scène. Un peu comme une carte de visite, qui nous a d’ailleurs permis de tourner dans le monde entier. Cette fois, il y a eu un vrai travail de post-production, et une réflexion autour du répertoire. Au final, il y a plus de variations. C’est à la fois plus tranquille, plus pop, mais aussi plus sauvage parfois.
Il y a aussi plus d’invités… C’est vous qui en avez-eu l’idée ?
Tiken est passé nous voir en studio. Nous le connaissions depuis le prix Découvertes RFI organisé à Bamako en 2004. L’idée de l’inviter est née à cette époque et s’est concrétisée par l’entremise de Marc-Antoine Moreau, notre producteur. C’est aussi ce dernier qui nous a suggéré les autres artistes présents sur ce disque. Les Nubians, Amadou Bagayoko ou encore K’naan apportent chacun une couleur spécifique, complémentaire, qui correspond bien à notre identité musicale. Et à ce que j’avais en tête : faire évoluer notre musique dans le cadre du studio.
Comment écrivez-vous le répertoire ?
Je compose en premier, mais les autres ajoutent leurs idées. Je ne suis pas du tout fermé, c’est un travail d’équipe. On s’écoute, on échange et on travaille ensemble. Tout comme pour les paroles, qui peuvent s’appuyer sur des expériences personnelles ou évoquer des problèmes plus globaux.
Justement, sur un titre comme Africa, vous vous engagez…
Oui, je parle des problèmes récurrents sur notre continent, de ce rêve panafricain jamais réalisé. Il suffit de voir la situation actuelle en Guinée : mon cousin Kourou, le bassiste du groupe, vient par exemple de se faire passer à tabac et voler tout ce qu’il avait sur lui lors d’un contrôle de police. Tout cela fait que désormais, j’ai envie de témoigner parce que lors des récents évènements, j’étais là : ça s’est passé devant moi. Et c’est un devoir puisque j’ai la chance de pouvoir sortir du pays, même si je ne suis pas ce qu’on a coutume d’appeler un chanteur engagé. Simplement, je ne peux pas oublier la réalité quotidienne : ce dont je parle aussi sur Silani qui évoque les problèmes liés à l’argent. Avec ou sans, c’est toujours une source de conflit. Dans ce disque, je parle aussi des filles, dans Women et On veut se marier. Le premier titre est un hommage aux femmes tandis que le second s’appuie sur une histoire que j’ai vécue en direct dans un café. Une discussion entre jeunes filles qui prétendaient que les musiciens sont ingrats et de mauvais maris, toujours partis. Je leur réponds en musique.
Vous saluez aussi votre grand-mère…
Je lui rends hommage. C’est elle qui m’a élevé dans la région de Koundara où je suis né. Quand j’étais enfant, elle m’emmenait aux champs, et en chemin, c’était à chaque fois une leçon de musique : elle chantait tout le temps. Elle m’a donné les solides fondations, sans lesquelles vous ne pouvez pas bien rayonner. Sans elle, je n’en serais pas là.
Et dans Adouna, vous évoquez justement l’expérience acquise dans le monde, qu’il faut valoriser chez soi…
Exactement. J’ai développé un festival international de koras et cordes, dont on vient de faire la deuxième édition. J’ai ouvert un centre culturel sur place, dans le quartier de Taouyah à Conakry. Cela s’appelle Wakili, qui veut dire "courage" en sousou. Parce qu’il en faut quand même un peu pour se lancer dans ce type d’aventures en Guinée, vue la situation économique. Même si j’ai pu avoir quelques soutiens grâce à l’association marseillaise Nuits Métis, l’essentiel a été financé sur mes fonds personnels et sur ceux de ma famille, car mon oncle M’Bady Kouyaté, l’une des grandes mémoires des griots, est lui aussi impliqué dans ce projet. Le but est de donner les outils aux projets culturels pour se structurer et de former les adultes et les jeunes à la kora, de les éveiller à la richesse de notre tradition. Il y a aussi des cours de danse et théâtre, avec des professeurs renommés comme Ibrahima Sory Tounkara. Tout est gratuit. Cette structure nous permet aussi d’organiser régulièrement des concerts et d’accueillir des musiciens en résidence.
Que pensez-vous des musiques électroniques qui envahissent toutes les capitales d’Afrique ?
Le hip hop est la musique qui parle à la jeunesse de Conakry. Nous avons d’ailleurs monté des projets en ce sens, même si malheureusement il y a des problèmes avec le voisinage. Nous ne sommes pas fermés à ce type d’influences, mais il faut aussi savoir qu’il y a actuellement un mouvement de la jeunesse qui veut se réapproprier la tradition, pour la combiner avec les musiques actuelles. Aujourd’hui, le coupé-décalé occupe une place très importante. C’est drôle pour danser, mais c’est quand même une expression assez pauvre musicalement. Rien à voir avec les grands groupes des années 70 et 80 !
Pourquoi avoir choisi ce titre, inspiré de Jimi Hendrix ?
Electric Griotland fait évidemment référence à Jimi Hendrix, un artiste dont la musique prend aux tripes. Néanmoins, c’est plus subtil qu’on ne le pense : cela fait bien sûr référence aux sons saturés et aux effets de la kora, mais aussi à la capacité de notre tradition d’évoluer. Comme Hendrix d’ailleurs, qui venait du blues. C’est comme ça que je conçois la world music, parce que j’aime les rencontres et les créations. Je ne veux pas avoir d’œillères ni de barrières. On vient même de faire une reprise de U2 pour une compilation à paraître aux Etats-Unis.
Et une idée pour la suite ?
Le prochain disque, j’aimerais qu’il soit tout acoustique. Comme au village.
Ba Cissoko Electric Griot land (Totolo/Harmonia Mundi) 2007
En concert au New Morning à Paris le 17 avril en partenariat avec RFI Musique