Un Printemps à Bourges
Mélange des genres
Et nous voici battant le pavé du Printemps de Bourges. Sous le soleil d’avril, alors que le public s’installe aux terrasses des cafés ou déguste des kebabs en déambulant, chacun sait que le festival est un rendez-vous à ne pas manquer. Comme le disait Sansévérino, lors de sa conférence de presse le 18 en fin d’après-midi, "Bourges est un des cinq ou six grands rendez-vous de l’année pour les artistes français ". Personne ne s’y trompe, il faut assurer. Du groupe de rock gothique au vieux briscard de la chanson, tout le monde y va de la même motivation.
On aurait pu choisir d’assister à la prestation du talentueux Abd El Malik suivi de Juliette Gréco au Palais d’Auron. On aurait pu aussi s’intéresser à l’hommage émouvant à Ali Farka Touré, donné par Amadou Bagayoko (de Amadou et Mariam) avec le conteur Hamadoum Tandina à la Hune. (On sait aujourd’hui que ce spectacle fera l’objet d’un disque).
Difficile de faire un choix. Pas de but précis, juste une envie de se laisser porter. Parfois aussi une curiosité pour un artiste dont on entend parler depuis si longtemps…Salvatore Adamo n’est pas un habitué des festivals mais plutôt des galas qu’il donne inlassablement depuis les années 1960. Grand professionnel, il sait charmer, faire plaisir et toucher la corde sensible d’un public depuis bien longtemps conquis. C’est ma vie, inch’ Allah ou Les Filles du bord de mer, sont là comme témoins d’une carrière immensément riche. Le jeune public sait reconnaître là les succès d’Adamo et participe largement à l’ambiance parfois flon flon de ce concert. Heureusement, quelques titres sont là pour rappeler que le chanteur italo-belge continue l’aventure de la chanson avec allant : Ce George(s) (chanté en principe en duo avec Olivia Ruiz sur son dernier album) ou encore Le Monde est monde sur un rythme reggae. Les fans en redemanderaient.
Place ensuite toujours sous le chapiteau du Phénix à Sanseverino et son big band. A treize sur scène, le groupe envoie le son. Le gros son. Ça frise parfois le grand barnum musical où les guitares pédalent après les cuivres, et la batterie après la contrebasse… Dans ce fameux marathon, les mots de Sanseverino s’emballent eux aussi. Les Embouteillages, version hardcore, se transformerait presque en véritable cauchemar. Heureusement, la bonne humeur et l’humour sont toujours les moteurs de Sanseverino et quand il s’agit d’interpréter J’ai un homme dans ma vie, chanson extraite d’Exactement le dernier album, le voila qui enfile un fourreau noir à paillettes des plus seyant : c’est bien connu, le ridicule ne tue pas. Surtout pas lui.
Les premiers…
Pour faire bonne mesure, il faut aussi s’intéresser aux jeunes pousses. C’est ainsi que le jeudi 19 a été placé sous le signe du "premier" : premier disque pour Adrienne Pauly, premiers pas pour Cocoon. Auteure d’un album (éponyme) remarqué et surtout d’un single accrocheur, J’veux un mec, Adrienne Pauly, avec une gouaille bien à elle raconte un monde réel avec une forte dose de décalage qui rend le propos léger, alors que l’on sent poindre une certaine noirceur. Résultat, on rit plutôt jaune de l’humour acerbe de la jeune femme, ancienne comédienne ayant "tournée" chanteuse par nécessité alimentaire. Sur scène, un air familier nous évoque une Catherine Ringer sans son Fred, une Môme sans la tragédie (l’effet "petite robe noire"). Le public s’amuse de ses poses, applaudit ses envolées lyriques, et rigole gentiment de ses blagues qu’elle semble pourtant dire avant tout pour elle-même.
Rien ne vaut donc la fraîcheur minimaliste de Cocoon pour rétablir un peu les valeurs. Programmé parmi la sélection découverte ‘rock’, le groupe originaire de Clermont-Ferrand, gagnant du concours CQFD de l’hebdomadaire Les Inrockuptibles, a proposé un set aventureux aux spectateurs de la Hune, à la Maison de la Culture. Deux voix intimement mêlées, celle de Morgane et celle de Mark, qui se plaisent à murmurer des mots dans la langue de Shakespeare. Véritable respiration artistique, ces deux jeunes gens âgés d’une vingtaine d’années, proposent une esthétique épurée, proche simplement du souffle, d’une simplicité désarmante et pourtant si belle. Dans ces conditions, la rumeur du festival semble lointaine.
Mais les stands de saucisses et barbes à papa sont bien là. On croise les artistes dans les rues : Un Pierre Lapointe attend son pass pour entrer dans le village Pro mais s’enthousiasme à l’idée de jouer juste avant Brigitte Fontaine, les Naast, groupe français ‘buzzé’ se plait à donner une interview télé devant les toilettes, l’énorme bus des Guns of Brixton fait des manœuvres délicates pour entrer au parking, Des instantanés qui font la vie d’un festival comme le Printemps.
Valérie Passelègue