Julien Lourau s'ouvre à la rumba
On l’avait laissé avec son projet à double détente baptisé Fire & Forget, branché au cœur de l’électronique. Le voilà de retour avec Rumbabierta, entouré de percussionnistes et de voix connectées à la transe. Fidèle à sa versatilité, le saxophoniste Julien Lourau y développe un discours original autour de la tradition afro-cubaine. Présentation par le maître de cérémonie, qui sera l’une des trois personnalités saluées lors du prochain Festival de Jazz à La Villette, du 29 août au 9 septembre prochain.
L'afro-cubain à Paris
On l’avait laissé avec son projet à double détente baptisé Fire & Forget, branché au cœur de l’électronique. Le voilà de retour avec Rumbabierta, entouré de percussionnistes et de voix connectées à la transe. Fidèle à sa versatilité, le saxophoniste Julien Lourau y développe un discours original autour de la tradition afro-cubaine. Présentation par le maître de cérémonie, qui sera l’une des trois personnalités saluées lors du prochain Festival de Jazz à La Villette, du 29 août au 9 septembre prochain.
RFI Musique : Comment est né ce projet ?
Julien Lourau : En fait, j’ai découvert Rumbabierta par l’intermédiaire d’un ami chilien, lui-même chanteur et percussionniste, Sébastian Quezada. Il est la clef de voûte de ce projet, construit autour d'un collectif de musiciens cubains qui habitent Paris depuis au moins cinq ans - certains, comme le fils du fameux Puntilla y vit depuis bien plus longtemps. Ce groupe se réunissait tous les dimanches au Babaloo, un club du côté de Bastille, pour jouer de la rumba, comme le veut la tradition. Ils reprenaient la thématique traditionnelle mais aussi des classiques de toutes origines pour les mettre à la sauce afro-cubaine. Ils avaient même repris Billie Jean ! D’où leur nom : "rumba ouverte". Ils investissent les codes de la rumba, une musique basée sur les tambours bata et les chants, en les ouvrant à d’autres influences.
Comme votre univers, davantage tourné vers le jazz… Comment s’est passée la rencontre ?
Tout à fait naturellement. J’ai jammé plusieurs fois avec eux, et puis à l’occasion d’une résidence à Chambéry, je leur ai proposé de développer cette collaboration. J’ai fait un gros boulot de mise en forme du projet. J’étais à la fois "in & out" sur le disque, puisque j’intégrais un groupe déjà constitué.
Avez-vous écouté de la rumba avant de vous y lancer ?
J’en ai toujours écouté. Qu’il s’agisse de sa version traditionnelle, des descargas des années 50 ou des travaux entrepris par les frères Gonzalez à New York dans les années 70. Mais pour moi, il existe aussi une longue tradition cubaine à Paris. Depuis les années 20 et 30, où ils jouaient dans les clubs de la capitale, jusqu’à Rumbabierta. Ça m’a donné envie de défendre ce son cubain parisien. Une couleur spécifique, puisque les Cubains de passage à Paris s’en étonnent et prennent souvent des claques monumentales. Par exemple, Rumbabierta éclate à l’extrême le guanguanco, l’un des fondements rythmiques qui se répète dans cette musique. Moi par-dessus, j’ajoute mon approche, forcément singulière dans cet univers. Tout comme celle d’Eric Lörher, qui permet d’apporter avec sa guitare des sons saturés dans cette histoire, ou celle du guitariste congolais Maika Munam, qui donne une variante africaine.
Vous inscrivez-vous dans la tradition des saxophonistes de jazz "latin" ?
Non, pas vraiment. D’ailleurs, j’en écoute peu. Ma seule référence, c’est l’Argentin Gato Barbieri, et encore, au début de sa carrière. Ce n’est pas le propos de ce disque. L’accent est plutôt mis sur les voix, sur lesquelles le saxophone tourne autour ou se place …
Ce qui n’est pas sans conséquence sur le jeu de saxophone…
Oui, je vais plus dans des chorus à la Fela Kuti. Plus rêches, plus durs. Je suis plus dans le cri, au bord de la transe sur scène. Rythmiquement, je n’avais qu’une bonne base de musiques latines, ça m’a donc permis de beaucoup progresser. Sans parler du travail sur les voix, où le positionnement du saxophone évolue : en contrepoint, à l’unisson, en réponse. C’est très varié.
Vous vous mettez au Fender Rhodes aussi…
Avec parcimonie. Je suis plus dans le rapport qu’avait Miles avec les synthés, il s’agit de mettre des couleurs.
Justement, avez-vous pratiqué les cérémonies liées à la rumba ?
Je suis déjà allé à leur fête annuelle. Mais en même temps, six heures de tambours bata non top, ça m’ennuie un peu. J’ai le sentiment que pour les adeptes français, il s’agit juste d’un exercice cérébral obsessionnel, où la polyrythmie, avec une bonne dose de mystique, peut les faire vriller. Pour les Cubains, le tambour bata est avant tout un instrument, même si certains sont sacrés selon les rituels. Ils ne font pas de prosélytisme en la matière. Quant à moi, tout en respectant cette tradition, je pense qu’avec ce projet, on ne se situe pas du tout dans une perspective sacrée. La seule mystique qui nous anime, c’est celle de la musique.
Après Fire and Forget, double album électro-électrique, vous n’avez pas eu peur de surprendre encore une fois votre public…
Chaque fois, c’est pareil. On me reproche toujours que le précédent album était différent. Je n’ai pas envie de me répéter ! Cette fois encore, cela va prendre du temps, il va falloir s’en imprégner. Aujourd’hui, je rencontre des gens qui me félicitent pour Gambit. Plus largement, ce nouveau projet me fait du bien, car pour la première fois depuis plus de dix ans, ce n’est pas un truc qui repose uniquement sur mes épaules. Cela s’est fait facilement, comme une respiration, et ça m’a donné une bonne dose d’énergie. J’en avais grand besoin.
Et la suite ?
Je viens de monter un quartet que je co-dirige avec le pianiste Laurent Coq. Il y a deux rythmiques qui nous accompagnent : soit Ari Hoenig et Thomas Bramerie, soit Otis Brown et Vincent Artaud. Nous avons commencé l’aventure à Lyon en janvier. On monte le répertoire à deux : du jazz contemporain. La musique qui me ressource. Je devrais présenter ce quartet sur scène cet automne, lors du festival de jazz de La Villette où je suis invité en tant que fil conducteur, un honneur que je partage avec Steve Coleman et Wayne Shorter. Je dois proposer des groupes et musiques en rapport avec mon parcours et mes influences. Il y aura donc aussi un plateau électro avec mon ami Jeff Sharell et bien entendu Rumbabierta.
Julien Lourau, Julien Lourau vs Rumbabierta (Label Bleu) 2007
En tournée en France à partir du 27/04/2007