Kreizh Breizh Akadémi

Vivifiante Bretagne !

En Centre Bretagne, une douzaine de jeunes musiciens se sont donnés rendez-vous au début du mois d'avril pour participer à la deuxième session de formation de la Kreizh Breizh Akadémi. Initié par Erik Marchand, ce projet remet au goût du jour la modalité dans la musique populaire bretonne en l’ouvrant à celle du bassin méditerranéen ou du Moyen Orient. Une revalorisation originale du patrimoine musical de cette région !

"Il est 14h15, on reprend dans un quart d’heure, d’accord ?", lance Erik Marchand aux jeunes musiciens qui terminent leur café et fument une dernière cigarette au soleil de Langonnet. Bientôt, il faudra se remettre au travail. C’est la seconde session du second collectif de la Kreizh Breizh Akadémi, dirigée cette fois-ci par le joueur de oud Mehdi Haddab.

Priorité aux cordes

La Kreizh Breizh Akadémi est née en 2005 sur une initiative d’Erik Marchand, chanteur, joueur de treujenn gaol, la clarinette bretonne et (re)découvreur du patrimoine local de Centre Bretagne. Après une vie artistique bien remplie, entre un travail de recherche, de catalogage d’enregistrements de chants populaires bretons et un parcours de chanteur aux idées larges, Erik Marchand a souhaité transmettre à de jeunes musiciens le goût de la musique populaire bretonne comme elle se pratiquait il y a un peu moins d’un siècle.

Ainsi, il a sélectionné une douzaine de musiciens professionnels bretons âgés de vingt à trente ans aux itinéraires musicaux variés et a constitué le second orchestre de la "KBA". Cette année, priorité aux cordes, avec guitares, laoud, oud, mandoline, violons, harpe, mais aussi aux flûtes et voix, tandis que le premier orchestre, Norkst, se trouvait plus étoffé et plus hétéroclite. Réunis à La Grande Boutique, "friche articole" de Langonnet pour trois jours de travail, les musiciens doivent mettre sur pied environs trois morceaux avec Mehdi Haddab, un joueur de oud sacrément rock’n’roll.

En juin et en septembre, deux autres formateurs viendront travailler avec eux d’autres thèmes -  l’année dernière Thierry Robin, Keyvan Chemirani ou Danyel Waro étaient passés en Centre Bretagne pour procéder à des master class ou à des arrangements. Ainsi, courant 2008, la Kreizh Breizh Akadémi 2 possèdera son propre répertoire, sera apte à jouer en France et en Europe et enregistrer, pourquoi pas, un album.

Travail sur la modalité

Dans la grande salle qui abrite les sessions de travail, les musiciens sont installés en cercle, par instruments : la section rythmique (contrebasse, cajon), la harpe, les deux chanteuses, la section flûte, les violons, la guitare, le laoud et la mandoline. Derrière un clavier, Erik Marchand donne des tonalités, tandis que Mehdi Haddab, au centre, joue au chef d’orchestre. Il faut trouver le bon pattern rythmique, donner à chaque instrument une place, conserver le thème populaire de base et lui donner une couleur plus moderne, sans le dénaturer.

En fait, chaque thème a été travaillé par l’orchestre avec Erik Marchand lors de la première session de travail, fin mars. Le chanteur a sélectionné dans son ordinateur des gwerz, des chants a capella très populaires en Centre Bretagne, comme ceux de Madame Bertrand ou des soeurs Goadec, et c’est à partir des thèmes chantés que Mehdi et l’orchestre travaillent.

L’essence de la Kreizh Breizh Akadémi repose sur une approche de la musique bretonne particulière. Erik Marchand l’explique : "La musique bretonne est modale, mais dans son histoire récente, soit environ ces quatre vingt dernières années, toute son évolution a été orientée vers l’adaptation de l’harmonie. Notre travail ici est de faire en sorte de créer une musique moderne bretonne mais qui s’attache à des formes locales plutôt anciennes qui sont toujours utilisées par les chanteurs de kan ha diskan dans la région, mais jamais dans la musique d’orchestre".

Pour les néophytes, on expliquera simplement que la musique modale repose sur d’autres gammes que celles largement utilisées dans la musique occidentale. En Europe, la majorité des musiques étaient modales jusqu’au XVIème siècle ou XVIIème siècle. Par la suite, le développement de l’harmonie a évincé petit à petit les autres formes musicales. Elles continuent à exister dans certaines régions aux traditions populaires bien ancrées (Bretagne, Occitanie, Corse, nord de l’Espagne, Sardaigne…), mais aussi et surtout dans les musiques orientales, dans le bassin méditerranéen et dans les pays du Moyen Orient. C’est d’ailleurs pour cela que Mehdi Haddab, d’origine algérienne, s’y retrouve. "Comme cet univers musical n’est pas tempéré, en tant que joueur de oud je comprends tout de suite le différent degré des notes. En plus de cela, Erik souhaite pousser rythmiquement les musiciens bretons à sortir de certaines formes rythmiques occidentales un peu rébarbatives. C’est ce qu’on essaie de faire, du coup, moi aussi j’apprends des modes bretons différents de ce que je connais, et c’est un vrai échange". Pour Erik Marchand, cet apport multiculturel est essentiel. A l’image de Mehdi, à la culture du oud allant de la Mauritanie au Yémen, les intervenants doivent avoir l’esprit large.

"Génial mais crevant"

Pour les jeunes musiciens, pas toujours rompus à l’entendement modal, il faut d’abord s’habituer aux nouvelles tonalités de leurs instruments. Pour accéder aux trois quarts de tons nécessaires à la musique populaire bretonne, il a fallu rajouter des frets sur les guitares, des clefs sur les flûtes ou sur la harpe…Ils doivent aussi "se faire l’oreille" à cette nouvelle manière de jouer, s’ouvrir aux couleurs musicales proposées. Une formation passionnante mais éreintante.

En trois jours, partis des gwerz chantées amenées par Erik Marchand, le deuxième orchestre de la Kreizh Breizh Akadémi, l’académie de Centre Bretagne, a mis sur pied trois morceaux. A répéter, bien sûr, mais trois morceaux quand même, originaux, inspirés de l’univers rythmique de Mehdi Haddab, des histoires d’amour et de vertu racontées dans les gwerz, et du talent des douze jeunes musiciens de la Kreiz Breizh Akadémi 2. Rendez-vous en 2008 !

Eglantine Chabasseur