Térez Montcalm transfigure le jazz
Il est rare qu’une voix vous kidnappe ainsi dès les premières mesures. Celle de Térez Montcalm, québécoise atypique, a quelque chose du feulement animal : une raucité unique qui se mue parfois en rugissements dévastateurs, comme on n’en avait pas reçu dans les oreilles depuis au moins Janis Joplin !
Une diva blanche et québécoise
Il est rare qu’une voix vous kidnappe ainsi dès les premières mesures. Celle de Térez Montcalm, québécoise atypique, a quelque chose du feulement animal : une raucité unique qui se mue parfois en rugissements dévastateurs, comme on n’en avait pas reçu dans les oreilles depuis au moins Janis Joplin !
"J’ai toujours été comme ça. J’ai commencé à chanter à 8 ans et comme j’étais toute petite, on pensait toujours que j’étais malade, parce que j’avais la voix rauque. Quand j’ai commencé à me faire connaître, les gens du milieu pensaient que j’avais des nodules sur les cordes vocales. Je leur assurais que non : si j’avais des nodules, je serais incapable de chanter longtemps !" Pour vérifier cet état naturel différent, Térez a même vu un ORL montréalais. "Il m’a descendu une caméra dans la gorge, pour filmer mes cordes vocales. À l’examen, on a vu qu’elles étaient saines, mais plus larges que la norme. Radio Canada a même fait une émission là-dessus ! Elles sont soufflantes, musclées, je peux m’appuyer sur elles et ça donne cet effet." Cette puissance et cette aisance dans les modulations trouvent dans l’expression jazz un territoire idoine, qu’elle parcours depuis longtemps.
"Je savais que j’avais une voix et un contrôle dessus, alors je m’amusais à chanter le répertoire populaire québécois. Et puis Trenet, Mariano, ce genre de chansons... La plus jeune d’une famille de cinq, j’étais la seule à chanter, mais la musique était très importante chez nous. Mes frères écoutaient Zappa, Hendrix. Mes sœurs, Elvis, les Beatles, Piaf. Mon père, lui, écoutait du jazz : Ella Fitzgerald, Billie Holiday, Nat King Cole… C’était la musique que j’aimais fredonner, que je retenais. À 14 ans, je suis allée au collège en jazz. A l’adolescence, je suis entrée naturellement dans le répertoire jazz, vocal et instrumental."
Transfiguration
Une voix avec un tel caractère, qui sur l’album Voodoo transfigure Elton John, Hendrix, Eurythmics, aussi bien que Nougaro, aurait pu choisir d’emprunter d’autres… voies. "Des producteurs connus m'ont proposé de devenir une chanteuse rock, populaire. J’aime le rock, mais je n’aurais pas été heureuse à ne chanter que ça. La musique, c’est une partie de plaisir ; je ne me prends pas au sérieux. J’ai un don, ma voix, que je vais exploiter à son maximum, mais c’est important aussi de faire ce que j’aime. En spectacle et sur un album, ça s’entend que je suis bien, que j’ai du plaisir. Cette honnêteté, c’est ce qui plaît aux gens."
On pourrait pourtant trouver le milieu jazz un peu étroit et autarcique. "Ce sont les gens qui le limitent à son territoire et ne veulent rien savoir du jazz. Voodoo est crossover, mais ça reste underground. Ce n’est pas du Diana Krall ou du Norah Jones. Les puristes du jazz ne vont pas aimer ce disque non plus. Mais c’est un public que j’aime, il est un peu plus intello, il se creuse les méninges. Il apprécie la musique et il la connaît, c’est agréable de chanter pour des gens comme ça."
Si elle a choisi cet univers et évolue sur ce disque aux côtés du musicien Michel Cusson (Uzeb), dans une couleur définitivement jazzy, les passerelles avec le rock subsistent à travers ces reprises soigneusement choisies. "C’est un album de famille, avec des chansons qui m’ont marqué dans mon adolescence. Même si je n’écoute que du jazz, je ne peux pas ne pas entendre Annie Lenox, qui est une chanteuse extraordinaire. Elton John, il faut être fermé pour ne pas penser que c’est un compositeur de mélodies extraordinaires. Mon cinquième album comportera moins de chansons populaires ré-harmonisées pour le jazz. Il y aura plus de compositions personnelles. Je pense d’ailleurs faire un disque moitié-moitié, entre les reprises et mes compositions."
Une langue plutôt qu'une autre
La parité se vérifiera aussi dans les langues employées. "Mon père est anglophone. Il est né à Toronto, y a grandi, les premiers enfants sont nés là. Puis il a déménagé au Québec, où je suis née. Chez moi, on mélangeait les deux langues. Mes trois autres albums sont en français, avec quelques chansons en anglais. Voodoo c’est le contraire, en majorité en anglais. C’est pour ouvrir le marché, je ne vivrais pas de la musique en chantant du jazz en français au Québec. En Europe, vous avez 342 festivals de jazz par an ! Le répertoire du jazz est en majorité anglophone. Quant aux chansons rock que j’adapte, je ne vais pas les traduire en français non plus !"
La France est depuis longtemps l’eldorado des chanteurs québécois, mais Térez Montcalm revigore le genre, trop encombré de variété poussive. "Vous êtes tellement allumés, il y a tellement de festivals, tu peux donner des shows six mois durant. Chez nous, on ne peut pas bien vivre de la musique. Les musiciens de jazz crèvent de faim, les clubs sont fermés, il n’y a pas d’endroits où l’on peut se produire à Montréal, et à Toronto, c’est guère mieux.."
Térez Montcalm Voodoo (Dreyfus Disques) 2007
Concert le 12 Mai 2007 à 20 h 30 au Théâtre de l’Alliance Française
Festival Jazz à Saint-Germain-des-Prés