Angoulême, entre Haïti et l’Afrique
Festival Musiques Métisses
Avec près de quarante concerts à l’affiche, la 32e édition du festival Musiques Métisses d’Angoulême qui s’est tenue à du 16 au 19 mai n’a pas manqué d’intensité. Qu’ils viennent d’Afrique, de l’océan Indien, des Caraïbes ou de France, les artistes ont saisi l’occasion pour briller de leur plus bel éclat.
Acoustic Africa est un spectacle aussi savoureux qu’une mangue prête à tomber de l’arbre. Après cinquante concerts ensembles dont une trentaine aux Etats-Unis, Dobet Gnahoré, Habib Koite et Vusi Mahlasela faisaient étape à Angoulême.
En huit mois, l’Ivoirienne, le Malien et le Sud-africain ont acquis des automatismes qui en disent long sur le niveau et le professionnalisme de ces trois artistes réunis sur une même affiche. De la première minute à l’époustouflant rappel, leur prestation pourrait servir de référence en matière de création musicale. Aucun ne cherche à imposer son univers, à attirer la lumière aux dépends des autres. Chacun a préservé sa personnalité artistique tout en mettant ses qualités dans un pot commun au service du collectif. Aucun doute, ils se font plaisir, cela s’entend et se voit sur leurs visages, dans les regards qu’ils s’adressent.
Sur le terrain de la complicité, les Bantous de la Capitale ont forcément plusieurs longueurs d’avance. Dans deux ans, l’orchestre congolais célèbrera son demi-siècle d’existence. Leur venue en France a valeur d’événement et marque leur retour sur le devant de la scène. Après avoir arrêté la musique pendant quelques années, les vieux amis septuagénaires n’ont pas su résister davantage à l’appel de la rumba. Avec le blues du désert des femmes de Tartitt ou l’hommage au saxophoniste guinéen Momo Wandel rendu par ses anciens musiciens, les temps forts n’ont pas manqué lors de cette 32e édition du festival Musiques Métisses.
L'esprit d'Haïti
Avec trois représentants, Haïti était cette année le pays le mieux représenté. Lauréat du prix Découverte RFI en 2006, Belo venait d’achever quatre jours plus tôt à Dakar sa tournée en Afrique de l’Ouest qui l’a conduit dans six Etats. "Une belle expérience", commente-t-il, ajoutant qu’"il n’y avait pas que de la musique dans la tournée. Ce que j’ai compris, c’est que Haïti est une portion de terre africaine qui se trouve en Amérique." Lorsqu’il a découvert Zinder, au Niger, après quatorze heures de route, il s’y est senti si bien que cela lui a inspiré quatre chansons pendant son court séjour.
A Angoulême, il a retrouvé les Brothers Posse, des amis d’enfance. Son frère a longtemps rempli les fonctions de manager de ce groupe au contact duquel il reconnaît avoir beaucoup appris. La formation de Don K-To et Bobby Star possède cette capacité à prendre d’assaut une scène et à ne jamais relâcher la pression. Mélange de "musique rasin" et de rock énergique et de rythmes jamaïcains – résumé par l’expression "roots, rock reggae" –, leur répertoire contient tous les ingrédients nécessaires pour transporter un public néophyte. Leur popularité sur leur île tient aussi à leur engagement effectif pour faire taire le crépitement des armes automatiques des gangs qui terrorisent une partie de la population. A l’approche des dernières élections, fin 2006, ils ont monté le Mouvement des Artistes pour la Paix et donné des concerts gratuits dans des quartiers réputés de non-droit pour contribuer au désarmement. Belo faisait partie de la caravane, tout comme Racine Mapou de Azor, invité également en Charente le week-end dernier avec ses compatriotes. Avec ses tambours, Lénord Fortuné "Azor" perpétue les traditions haïtiennes marquées par le culte vaudou. Il les a adaptées à la scène, en a changées parfois le contenu pour être plus revendicatif, mais lorsqu’il chante, ce sont bien les esprits que ses yeux appellent.
Bertrand Lavaine