D’un siècle à l’autre

Emily Loizeau, Marie Modiano, Helena Noguerra ou Nilda Fernandez plongent dans les splendeurs de la mélodie française et chantent Gabriel Fauré, Erik Satie ou Reynaldo Hahn.

Un voyage pop dans la musique du XIXe

Emily Loizeau, Marie Modiano, Helena Noguerra ou Nilda Fernandez plongent dans les splendeurs de la mélodie française et chantent Gabriel Fauré, Erik Satie ou Reynaldo Hahn.

Dans les salons cultivés de la France qui se relève de la défaite de 1870, on pose sur les pianos des partitions aux apparences de simplicité dépouillée, sur lesquelles les dames chantent des poèmes de Sully Prudhomme, de Théophile Gautier, de Paul Verlaine : "Le long du quai les grands vaisseaux/Que la houle incline en silence/Ne prennent pas garde aux berceaux/Que la main des femmes balance", "Avril est de retour/La première des roses/De ses lèvres mi-closes/Rit aux premiers beaux jours", "Le ciel est par-dessus le toit, si bleu si calme/Un arbre par-dessus le toit berce sa palme"… On entend maintenant ces vers chantés par Pascale Baehrel de Dorval, par Emily Loizeau, par Juliette Paquereau de Diving With Andy. Avec l’album D’un siècle à l’autre, une génération de chanteurs français s’aventure dans un répertoire que l’on ne connait guère aujourd’hui que par des voix lyriques à la pureté lisse et à l’expression volontiers stéréotypée.

C’est Laurent Manganas, éditeur, producteur et notamment compositeur de Dorval, qui rêvait de cet hommage à la mélodie française – puisque c’est sous ce vocable simple et trompeur à la fois que Gabriel Fauré, Reynaldo Hahn, Henri Duparc, Claude Debussy, Erik Satie ou Ernest Chausson sont rassemblés. "Je voulais faire découvrir à un public qui ne les connait pas des chansons d’une modernité incroyable, explique Manganas.

Les recherches que j’ai faites sur la mélodie française de la fin du XIXe siècle confirment que les compositeurs cherchaient une compréhension parfaite du texte et ne souhaitaient pas forcément des voix lyriques très techniques, des cantatrices – ces préoccupations ne sont pas très éloignées des miennes. Il se trouve que le classique s’est emparé de la mélodie française et l’a peut-être détournée. Je me suis demandé ce que ça donnerait avec des voix diaphanes, modernes, proches de nous."

Il a cherché pendant quelques années avant de s’associer avec Julien Perraudeau et Rémy Galichet, du groupe Diving With Andy, qui partagent avec lui une double culture pop et classique, et qui ont réalisé l’album. "Puis j’ai cherché des voix, essentiellement pas trop connues, pour qu’elles ne prennent pas le dessus sur le projet. Je voulais plus des caractères et des voix que des noms." Ainsi entend-on Pascale Baehrel de Dorval, Marie Modiano (pour une version sublime de Je te veux de Satie), Helena Noguerra, Daphné, Armelle Pioline de Holden, Juliette Paquereau de Diving With Andy et deux garçons, Nilda Fernandez et Frank Monnet.

Et puis, très naturellement, Emilie Loizeau, qui a passé des années d’études au piano classique avant de prendre la voie de la chanson, et qui chante Tristesse de Fauré. "Je ne connaissais pas cette pièce, explique-t-elle, ou du moins ne m’étais-je jamais arrêtée dessus. Je me suis mise à la chanter et ça a été une évidence. Ce sont des compositions avec une musicalité assez naturelle. En fait, il y a la simplicité de la chanson dans ces œuvres. Evidemment, je n’ai pas une voix de chanteuse lyrique mais je n’ai pas eu beaucoup de questions à me poser."

Toutefois, Manganas note que "l’exercice n’est pas facile, puisque ces mélodies sont faussement simples à chanter, même si on a l’impression que c’est écrit avant-hier". Les arrangements comptent aussi pour la réussite de D’un siècle à l’autre : à part Emily Loizeau et Frank Monnet qui ont eux-mêmes arrangé leurs enregistrements, on entend une sorte de musique de chambre assez moderne, parsemée de sons électriques et de couleurs moins intemporelles qu’il n’y parait de prime abord.

Et Manganas concède "une nostalgie peut-être musicale, esthétique. Par exemple, beaucoup de compositeurs actuels se réfèrent à Satie, comme Air, pour la simplicité, le son, le jeu de piano. Mais il y a aussi des harmonies très fouillées, extrêmement riches et osées."

L’expérience n’ouvre pas des horizons pour les seuls auditeurs de l’album, mais aussi pour ses interprètes. Emily Loizeau avoue maintenant "l’envie de faire d’autres choses, de retrouver des œuvres, qui sait." Après D’un siècle à l’autre et le voyage de Sting dans la musique anglaise du XVIe siècle avec son album Songs From the Labyrinth consacré à John Dowland, les répertoires classiques pourraient devenir un eldorado pour les chanteurs du siècle nouveau.

Compilation D’un siècle à l’autre (Dièse Records/Harmonia Mundi) 2007