Derrière la porte de Jil Caplan

Jil Caplan n’a pas cessé de sortir des albums depuis 20 ans. Avec Derrière la porte, la chanteuse livre un élan de poésie sombre, magnifiquement mis en musique par Jay Alansky. Entre pop, jazz, électro, on serait bien en peine de ranger ce disque dans un rayon particulier. Peut-être un défaut marketing… Plus sûrement une belle preuve de maturité artistique.

Retrouvailles avec Jay Alansky

Jil Caplan n’a pas cessé de sortir des albums depuis 20 ans. Avec Derrière la porte, la chanteuse livre un élan de poésie sombre, magnifiquement mis en musique par Jay Alansky. Entre pop, jazz, électro, on serait bien en peine de ranger ce disque dans un rayon particulier. Peut-être un défaut marketing… Plus sûrement une belle preuve de maturité artistique.

Qu’est-ce qui s’est passé après votre album la Charmeuse de serpent et le tube Tout ce qui nous sépare ?
J’ai sorti Avant qu'il ne soit trop tard, un disque plus sombre, moins facile d’accès. Il n’a pas du tout eu les mêmes répercussions. Ça m’a pénalisé parce quand on a moins de résonance, les gens viennent moins vous voir tout simplement parce qu’ils ne savent pas ce que vous faites. Mais j’ai toujours du public à mes concerts. On ne fait pas de disques pour avoir absolument un gigantesque succès. Le succès de la Charmeuse de Serpent était assez inattendu. Pourquoi ? Je ne sais pas. Il y a une question de temps et de chance, la chanson qui parle aux personnes au bon moment.

Personnellement, ça ne m’a pas empêchée de développer des projets que j’avais à cœur. Je m’en suis très bien remise.

Derrière la porte sort chez EMI, une major, ça s’est fait comment ?
Je n’avais plus de label depuis plus d’un an. Ce n’est pas un souci, c’était même mieux car je n’avais pas la pression d’un directeur artistique qui me disait : "Cocotte, faudrait que tu me fasses ça." On avait ce projet de disque avec Jay Alansky, sans avoir encore toutes les chansons. Je savais très bien qu’il y avait certaines catégories de maisons de disque qu’il était inutile de démarcher : les labels très indé, je ne fais pas de l’underground, je ne corresponds pas à ce qu’ils veulent développer. Et je ne fais pas non plus de la grosse variet’ au mètre. Du coup, c’est une autre voie et on connait les gens intéressés. C’est eux que j’ai contactés en premier et comme par hasard, ils ont réagi très vite.

L’autoproduction, ça vous a traversé l’esprit ?
Bien sûr mais tout me traverse l’esprit ! (Rires.) Surtout qu’on a écrit et composé cet album en même temps qu’on l’enregistrait en studio. Donc dans une liberté totale, la seule exigence qu’on avait, c’était nous, notre avis, ce qu’on voulait dire. Quand on fait ça, on s’autoproduit. Je suis d’ailleurs productrice de ce disque. C’est la première fois et j’en suis très contente. Ce n’est pas mon premier album, j’ai l’expérience, ce n’est pas si compliqué à faire. Après, c’est vrai que vendre un album uniquement sur Internet, c’est un peu réducteur. S’il avait fallut le faire, je l’aurais fait. Mais je suis très contente de sortir chez EMI. En même temps, les maisons de disques, il ne faut pas trop s’attacher. Moi pendant longtemps, ma maison de disques, c’était mon papa et ma maman ! Alors que ce n’est pas vrai du tout, il faut voir ça d’une façon beaucoup plus professionnelle. Ils font leur travail, je fais le mien et ça se passe bien. Il faut garder une forme d’autonomie, de force intérieure pour savoir ce qu’on a à faire et comment le faire.

C’est l’album des retrouvailles avec Jay Alansky [producteur de la Charmeuse de Serpent, parti ensuite vers l’électro avec le projet A reminescent drive, ndlr]. Ça c’est passé comment ?
Ce n’était pas du tout prémédité. Ça faisait 10 ans qu’on ne se voyait plus trop, à part un  "bonjour-bonsoir" à un concert de temps en temps. Par un hasard de personne et de circonstance, on s’est retrouvé à boire un thé ensemble et on a papoté pendant cinq  heures. Même si nous avions tous les deux changés, la source, le nerf de notre relation était resté identique. Donc on a commencé à écrire une chanson, puis deux, puis trois. Et à un moment donné, on s’est retrouvé comme des gamins, avec autant d’enthousiasme que sur le premier album. On avançait tout seul.

C’est un album agréable à écouter mais pas forcément très gai …
C’est vrai, il n’est pas gai, mais il n’est pas forcément triste non plus. Je n’ai pas envie que l’on parle de disque noir. Il a une certaine profondeur mais il n’y a pas d’autograttage de plaie. J’ai eu envie d’être un témoin, de ce que je pouvais sentir, de la solitude de certaines personnes qui m’entouraient. Qu’est-ce qu’il y a "Derrière la porte" ? On se protège trop dans la vie de tous les jours, dans les rapports avec les autres. La solitude des gens est immense, énorme et moi elle me touche. Comment fait-on pour vivre aussi longtemps en étant privé d’amour ? C’est ça qui fait sombrer les gens, qui les pousse en dépression. C’est pour ça que parfois ils se retrouvent à la rue.

L’album n’est ni franchement pop, jazz ou électro, c’est ce qu’on appelle la Variété ?
Ah non ! [Catégorique avec une pointe d’indignation] Alors là non ! Je n’aime pas la variété. Moi, j’ai découvert la musique avec Roxy Music, le Velvet Underground, David Bowie. Ce sont des gens qui essaient d’échapper à une espèce de vulgarité de propos et de son. C’est pour ça que le rock m’a toujours plu parce qu’il faisait des ponts entre l’art plastique, la littérature le cinéma. Il y a véritablement une culture rock alors qu’il n’y a pas de culture variété. Les gens sont reliés entre eux par une espèce de violence d’être en vie dans laquelle je me retrouve. Effectivement Derrière la porte, ce n’est pas du rock mais je pense être en lien avec ça

Jil Caplan Derrière la porte (Odéon/EMI) 2007
En concert à Paris à l'Européen les 11 et 12 octobre 2007