1er août : le choc Grand Corps Malade

Sa venue était annoncée par toute la presse québécoise. Mieux : son spectacle avait été le premier de ces Francos à afficher complet. Jusqu’ici, Grand Corps Malade n’avait jamais slamé en dehors de l’Europe. Sans surprise, Montréal l’a acclamé comme Abd Al Malik d'ailleurs.

Montréal sous le charme

Sa venue était annoncée par toute la presse québécoise. Mieux : son spectacle avait été le premier de ces Francos à afficher complet. Jusqu’ici, Grand Corps Malade n’avait jamais slamé en dehors de l’Europe. Sans surprise, Montréal l’a acclamé comme Abd Al Malik d'ailleurs.

Il y a des soirs comme cela, où les choses prennent corps. Ce mercredi à Montréal, avant même que les lumières s’éteignent, il flottait dans l’air du théâtre une étrange fébrilité. Des artistes étaient là : Emilie Simon, Yann Perreau, Thomas Hellman, Louise Forestier. Gérard Davoust, aussi, l’ami proche d’Aznavour, éditeur du grand Charles, de Lynda Lemay et aussi désormais de Grand Corps Malade. Bref, le banc et l’arrière banc avait répondu présent à ce spectacle événement. Rien d’étonnant à ce que, dès son entrée en scène, le slameur ait été accueilli par un tonnerre d’applaudissements.

D’autant que l’entrée, en effet, frappe autant les yeux que l’esprit : la silhouette meurtrie appuyée sur sa béquille, se dessine dans le contre-jour étudié de lumières très blanches. Et la voix profonde, d’une gravité chaleureuse, résonne dans le plus total dénuement musical. Le ton est donné, celui du slam et de l’intimité. Forcément touchant quand on sait son parcours cabossé.

Mais la force du spectacle, ce furent plus ses surprises que ses figures attendues, ces cascades de mots évoquant l’accident qui a brisé un jour ce grand corps athlétique. L’émotion ne naît pas de la surenchère verbale et l’empilement des rimes ne suffit pas à dessiner la poésie. Non, là où Grand Corps Malade se montre le plus touchant, c’est à l’instant où on l’attend le moins : dans ses transitions bienveillantes, et surtout dans ses textes les plus drôles, comme le très acide J’aime pas les gens, ou le si véridique Appartement de célibataire, frappés au coin d’un humour redoutable. Non seulement le slameur sait observer et décrire, mais en plus, il sait dire, avec une inattendue théâtralité qui confère presque à certains textes la dimension de sketchs.

D’ordinaire, le slam se pratique a capella. Grand Corps Malade aime habiller le sien de quelques mélodies. Ce soir, à Montréal, les musiciens faisaient malheureusement bien pâle figure face au maître diseur, et le slameur L’Ami Karim, venu tout exprès de Paris, n’aura guère époustouflé l’assemblée par la force de ses rimes. Mais qu’importe : à Grand Corps Malade, Montréal avait décidé de tout pardonner. Tenez : même quand il a remercié "Les Francofolies de La Rochelle", la salle a souri et elle a applaudi.

Et la révélation Abd al Malik !

Décidément, Montréal slamait ce soir. Deux heures après la prestation rodée de Grand Corps Malade dans un théâtre douillet de la Place des Arts, c’est dans un autre lieu, aux murs plus rock et sol piétiné, que les mots prenaient tout leur sens. Au Spectrum donc, double affiche nocturne : Bienvenue à Slam Cité - un collectif montréalais mené par un certain Ivy -, et surtout Abd al Malik. Si les médias d’ici comme d’ailleurs ceux de France, le veulent à tout prix "slameur", lui se dit plutôt rappeur. On le dira seulement artiste, engagé et profond, qui mêle un flow de mots précis à un univers très jazz. Le raffinement du fond et de la forme. La force du message et le souffle de l’habillage.

Sur Abd al Malik, fils d’immigré échappé de ses prisons intérieures, la délinquance et le fondamentalisme pour devenir soufi et diseur pacifiste, on pourrait écrire mille et une chose. Parler de la très belle subtilité de ses textes, de cette complexité de la vie qu’il n’élude jamais, de son sourire en scène ou de sa façon si personnelle de bouger, danse nourrie de hip hop et d’intériorité. On se contentera de glisser qu’il a littéralement enflammé un public qui ne le connaissait guère, public estomaqué par la portée des mots sortis de la bouche du jeune homme. Au fond c’est vrai : Abd al Malik ne slame pas, il ne court pas après le record du monde du plus grand nombre de rimes, ni n’essaye de dégainer des jeux de mots à la chaîne… Son écriture concise et si pleine de sens nous raconte juste sa vision du monde. A travers son histoire, c’est celle des autres qu’il nous transmet. Parole d’un garçon revenu de loin, à la sérénité désormais lumineuse. Et extrêmement précieuse.

Valérie Lehoux

A écouter


par Valérie Lehoux (4'20)


par Valérie Lehoux (2'38)


- Musiques du Monde de Laurence Aloir (2'53)

Musique en live

Abd al Malik interprète

Abd al Malik interprète