3 août : Le charme de Chloé Sainte-Marie
La muse du cinéaste Gilles Carle se fait désormais l’interprète des poètes. Spectacle intimiste et bouleversant, aux mots incandescents.
Chanteuse funambule
La muse du cinéaste Gilles Carle se fait désormais l’interprète des poètes. Spectacle intimiste et bouleversant, aux mots incandescents.
La soirée fut si riche qu’on en eut presque de l’embarras dans le choix des sujets... Tenez : on aurait pu parler du show très intimiste de la bête de scène Yann Perreau, l’un des talents les plus audacieux et les plus physiques de la jeune scène québécoise. Evoquer le spectacle franchement planant des Karkwa, lauréats l’an passé du Prix Leclerc, en résidence cette année pour trois concerts uniques, et qui viennent de livrer un set tout musical en conviant aux claviers la très prisée Ariane Moffatt. On aurait pu encore vous conter le duo des ukulélés présenté par Thomas Fersen – une option radicale, amusante un moment, mais vite assez lassante. Ou commenter enfin la prestation charmante de Valérie Leulliot, l’ex-chanteuse d’Autour de Lucie désormais en solo – sauf quand Florent Marchet vient la rejoindre en scène...
Mais face à tant de directions possibles, on peut aussi faire un pas en arrière. Revenir sur un concert de la veille, troublant de grâce et de fragilité : celui de Chloé Sainte-Marie. Hors du Québec, bien peu connaissent son nom. Ici, elle incarne pourtant un esprit de fantaisie, de liberté et de fidélité, contenu dans ce corps fluet qui semble brûler d’une flamme toujours vive. Chloé Sainte-Marie, muse et compagne du cinéaste Gilles Carle depuis plus de 25 ans, met désormais sa voix au service des poètes du Québec. Son spectacle montréalais leur est tout entier dédié.
C’est une succession de textes et de chansons, qu’elle semble interpréter au bord d’un précipice intérieur. Deux soirs durant, dans une petite salle confinée aux jolies courbes d’amphithéâtre, Chloé Sainte-Marie s’est mise en danger. Elle n’esquive jamais les silences et livre, dans un dépouillement sans filet, les mots de Gaston Miron, Roland Giguère, Patrice Desbiens… Mots de vie ou de mort, porteurs de douleurs et d’espoirs, hommages aux peuples amérindiens et aux terres inviolées, qu’elle dit ou qu’elle chante d’une voix vibrante, si ce n’est déchirante.
Il y a parfois quelque chose d’un peu dérangeant à voir cette femme funambule s’avancer sur le fil si ténu de la poésie, tant on peut craindre pour elle le faux pas qui la ferait tomber. Mais il y a surtout quelque chose de bouleversant à regarder l’artiste se présenter ainsi, sans autre arme que son souffle et son regard brûlant, un peu allumé souvent, pour faire tomber nos barrières par la seule grâce des images verbales.
Ces jours-ci à Montréal, Chloé Sainte-Marie fut une interprète si troublante et si sincère que sa vie toute entière semblait dépendre de la façon dont le public la recevrait. Parenthèse d’intensité aigue dans un festival aux airs en général plus festifs. Parenthèse d’écoute absolue, où la poésie ne se mesure pas au poids de rimes, mais à cette manière si particulière de savoir transmettre l’essentiel en un petit nombre de mots.
Valérie Lehoux
A écouter
par Valérie Lehoux (5'18)
Chloé Sainte-Marie interprète
un texte de Gaston Miron (2'44)
Valérie Leulliot interprète
(3'34)