Deportivo dans l'urgence
Fine fleur du rock hexagonal depuis Parmi eux en 2004, Deportivo, jeune trio de Bois d’Arcy publie ce mois-ci son second opus, enregistré entre Londres et Angers en collaboration avec le producteur des Strokes. Trente minutes d’urgence communicative, de rock brut au son étonnamment précis et chaleureux.
Du rock en état de siège
Fine fleur du rock hexagonal depuis Parmi eux en 2004, Deportivo, jeune trio de Bois d’Arcy publie ce mois-ci son second opus, enregistré entre Londres et Angers en collaboration avec le producteur des Strokes. Trente minutes d’urgence communicative, de rock brut au son étonnamment précis et chaleureux.
Il y a trois ans, le rock français sortait à peine d’un règne sans partage de Noir Désir. Deux groupes frères insufflaient alors une fraîcheur salvatrice à la musique saturée dans la langue de Molière, sans pour autant détrôner les indépassables géniteurs de Tostaky (mais le cherchaient-ils vraiment ?). Il y eut Luke, auteur, avec succès, d’un virage très rock avec La Tête en arrière. Il y eut aussi Deportivo. Ces trois passionnés de foot faisaient équipe autour d’un credo simple : composer dans le "rush" des morceaux courts joués vite et fort. Un album et cent cinquante dates de concerts plus loin, la formule s’est avérée payante.
Un son rénové
Aussi les fondamentaux demeurent intacts sur ce nouveau disque sans nom où la sobriété domine : titres brefs, phrases concises et riffs taillés dans le vif à l’image du très efficace La Brise, le single introductif. "Nous n’avons pas cherché à tout révolutionner pour cet album, confie Jérôme, le chanteur. Dès les débuts de notre groupe, nous nous étions fixés une règle : jouer dans l’urgence. C’est de là que l’on tire notre plaisir de musiciens."
Pas de révolution en vue donc, mais un son passablement rénové depuis La Salade ou 1000 Moi-même, avec leur alternance de guitares claire/distordue proche de Nirvana. La basse très mélodique tenue par Richard vient enfin au premier plan, les guitares ont gagné en mordant et la batterie de Julien est devenue plus précise et inventive. Le tout donne un style garage rock débordant d’énergie mais carré, puissant et coloré. On pense inévitablement aux New-yorkais de The Strokes et à leur premier producteur, Gordon Raphael, avec qui le trio a concocté ce son avec une gourmandise manifeste. "En cherchant à travailler avec lui, il était clair qu’on allait vers des sonorités différentes, vers un son plus sale, plus ‘lo-fi’. Il y a moins de contrastes que sur le premier album, mais le son est dense, avec beaucoup de présence".
Le producteur et metteur en son américain s’est illustré en amont et en aval de l’enregistrement : "Après son travail avec les Satellites [ndlr : autre groupe de l’écurie Village Vert], Gordon nous a invités dans son studio de Londres. Un endroit spécial, une vieille usine désaffectée du quartier de White Chapel. Je suis arrivé avec le squelette des chansons composées pendant les dix mois précédents. Là-bas, on a travaillé spécifiquement chaque instrument. Gordon nous a poussés à mettre davantage les lignes de basse en évidence, ce qui n’était pas forcément notre intention au départ. On est revenu en France avec des versions démo des morceaux et on a tout réenregistré avec notre ingé son Yann Madec au studio Black Box d’Angers [ndlr : le studio mythique de Sloy, des Thugs…], où nous avons nos habitudes. Gordon est revenu ensuite pour le mixage."
Maître-mot : spontanéité
Chaque étape s’est déroulée sans calcul, dans l’urgence, pour mieux préserver la spontanéité du groupe pendant le processus créatif. "On n’avait pas tous les titres en arrivant à Londres… Le processus de composition est très anarchique. Je peux venir avec trois phrases, et on va construire tout le morceau autour, à trois. Le déclic peut venir aussi d’un riff, d’une suite d’accords. Je crois que ce côté ‘bordélique’ nous caractérise vraiment ! "
Le chant de Jérôme a, lui, gagné en assurance. Les cent cinquante concerts passés l’ont décomplexé à ce niveau, au point que certaines inflexions de voix du premier album lui font aujourd’hui "grincer des dents". Côté textes, on retrouve le lyrisme distancié du premier album, comme sur En ouvrant la porte. Au service de la mélodie, les mots de Deportivo suggèrent plus qu’ils ne disent, restent parfois volontairement obscurs, à l’image d’Exorde Barraté, "Une expression incompréhensible qu’un journaliste a utilisé au sujet d’un de nos premiers morceaux. On a tellement halluciné en la lisant qu’on en a fait un titre."
A noter la reprise très rock d’un classique de Miossec, Les bières aujourd’hui s’ouvrent manuellement, où figure Arnaud, violoniste de Louise Attaque. "Nous jouons depuis longtemps ce titre sur scène, et nous voulions quelque chose de neuf avant de l’enregistrer. L’idée d’incorporer Arnaud nous a tout de suite séduits. Miossec, comme Louise Attaque, sont ceux qui m’ont montré la voie. J’ai su en les écoutant que l’on pouvait écrire du rock en français, avec simplicité. Je trouvais l’héritage de Noir Désir et leurs textes très littéraires assez pesant." Le chanteur breton a-t-il apprécié le résultat ? "Nous ne lui avons pas encore envoyé le disque. Mais il paraît que quelqu’un lui a fait écouter la reprise, et qu’il a aimé… "
Prochaine étape après cet album, la scène. "On fait de la musique pour cela, et pour le sentiment de liberté que ça nous procure. Le studio, ça n’est que le prolongement de cette énergie qu’on ressent dans les salles de concerts." A bon entendeur.
Jerôme Pichon
Deportivo Deportivo (Le Village Vert/Universal Music) 2007
En tournée en France et le 18 décembre à Paris (La Cigale).