Deuxième solo pour Segal

Le violoncelliste Vincent Segal est un musicien des plus actifs, un curieux artiste qui ne se cantonne jamais à un domaine. Voilà ce que dit entre les lignes Cello, son album solo enregistré en une journée, où chaque composition renvoie à un lieu, à une vibration, pour une musique habitée par des souvenirs et personnages. Rencontre.

Uniquement en vinyle

Le violoncelliste Vincent Segal est un musicien des plus actifs, un curieux artiste qui ne se cantonne jamais à un domaine. Voilà ce que dit entre les lignes Cello, son album solo enregistré en une journée, où chaque composition renvoie à un lieu, à une vibration, pour une musique habitée par des souvenirs et personnages. Rencontre.

Membre à part entière de la troupe du spectacle de danse d'Alain Buffard Not A Love Song*, impliqué dans la sélection musicale qui accompagnera des œuvres du cinéma muet présentées au Louvre fin novembre, l'éclectique Vincent Segal, s'adonne aussi à la direction artistique sur l’album des Bombes 2 Bal, après celui d’Agnès Jaoui, entre autres. Parmi toutes ces activités, il s'offre une parenthèse en composant des morceaux de violoncelle en solo qu'il propose d'écouter sur Cello.

Le temps de courtes vignettes, on y croise la boutique Anvers Musique où les sons afro débarquaient, le fantôme de Fodé Kouyaté, un club d’Oakland, un autre de New York, ou encore une spéciale dédicace à l’immense mur graphé du côté de Stalingrad, sans oublier un génie grec des cordes frottées… "Comme des fragments de mémoire", ceux qui composent le menu de cet album d’un griot post-moderne mais définitivement esthète. Comme une pause salutaire en attendant le prochain Bumcello, le duo qu’il mène avec Cyril Atef, dont ils ont déjà bouclé la dizaine de titres et qui fera la part belle aux amis chanteurs invités.

RFI Musique : Pourquoi un violoncelle solo ?
Vincent Segal :
Ça fait des années que l’idée de ce disque traîne. Magic Malik n’arrêtait pas de me dire de le faire, histoire de répertorier tout ce que j’avais apporté sur le mode jeu sur l’instrument. Moi, ce qui m’intéresse, ce sont les personnes qui jouent, et non l’instrument en tant que tel, et encore moins une affaire de style musical. Ce n’est d’ailleurs pas un album solo de violoncelle, pour dire "Regardez tout ce que je peux jouer!". Non, il s’agit plutôt d’un musicien qui montre où il en est, ce qu’il peut laisser de son travail. C’est difficile le solo : il faut vraiment avoir de la matière… Et puis, il y avait l’idée de faire référence aux suites de Bach, non pour la composition, mais pour l’aspect d’un enchaînement de danses du XXe siècle. Mon violoncelle, c’est mon Leïca* : j’essaie de retranscrire les impressions des lieux, des bars, où je voyais les gens danser.

C’est donc votre oreille qui a nourri vos doigts ?
Oui. Pratiquement tous les musiciens procèdent de la sorte. On a un instrument, on entend une rythmique ou un chanteur, et on veut les traduire sur son instrument. Quand je jouais avec le Brésilien Nana Vasconcelos, tous les jours j’essayais de reprendre ce qu’il faisait au berimbau. Sa façon d’imprimer les percussions a durablement marqué mon jeu de violoncelle. C’est du mimétisme qui te permet d’ouvrir les palettes de ton instrument en devenant "intrumentophage". J’absorbe les manières de jouer, comme les techniques de mix, la manière d’assembler les rythmes ou les syncopes de certains DJ.

Ce disque, c’est en quelque sorte le deuxième volet autobiographique après T-Bone Guarnerius ?
Ça me fait plaisir car ce n’était pas voulu, mais c’est vrai qu’il y a un peu de cela. Un peu des fantasmes et fantômes déjà évoqués dans T-Bone Guarnerius. Sauf que cette fois, je vais les éditer pour que d’autres puissent rejouer les partitions.

Que pensez-vous avoir apporté au violoncelle depuis une vingtaine d’années ?
Sans doute des techniques de jeu inusitées, en tout cas pas utilisées de cette manière-là. Comme pour les pizzicatos, ou comme pour les techniques de guitare que j’ai appliquées, ou à l’archet où je me suis inventé des techniques propres. Je pense qu’on me reconnaît, comme  tout violoncelliste. Arthur Russell avait une approche très spéciale, ou plus près de nous Vincent Courtois a une façon de jouer immédiatement identifiable…

C’est un passage obligé, le solo pour un instrumentiste ?
Non, je ne pense pas. C’est vrai que c’est une manière de faire le point, pour reprendre les images photo. Avec les autres, tu es toujours dans un dialogue, dans une réponse. Là, tu as tout l’espace pour toi, et tu poses non plus des question aux autres avec ton instrument, mais à toi-même. Comme une espèce de psychanalyse. C’est pas mal. (rires)

Et alors ?
Eh bien, je pense que ce qui fait ma différence, c’est mon rapport au groove et aux musiques populaires. J’espère avoir mis en avant cet aspect de moi dans ce disque. J’aurais pu faire des compositions plus abstraites, mais ce n’était pas le propos. Je voulais souligner les caractères les plus primaires de mon jeu, un dénominateur commun qui revient constamment depuis des années au fil de mes collaborations. D’où la danse.

Plus c’est primaire, plus c’est abstrait ?
Effectivement, une œuvre très rurale a en elle un fort pouvoir d’abstraction. D’ailleurs Boulez dit qu’à un certain moment, la chose la plus libre et la structure la mieux organisée se rejoignent. Nécessairement.

Pourquoi avoir choisi de sortir ce disque uniquement en vinyle ?
Pour trois références importantes. Tout d’abord, j’écoute beaucoup de vinyles, et je sais que ce n’est pas la même manière d’apprécier qu’avec un CD ou sur un I-Pod. Je voulais cette qualité d’écoute pour mon disque, la qualité du son aussi, et la classe des belles pochettes. C’est un peu égoïste, mais bon après tout, en peinture, si tu réalises un grand format, tu ne te poses pas la question de savoir s’il rentrera chez tout le monde. Ensuite, c’est aussi par rapport à mon prof de violoncelle, qui est mort, mais auquel je n’aurais pas aimé donner un CD, et encore moins un fichier son. Et enfin, c’est une façon de saluer le XXe siècle, qui fut celui du vinyle. Vingt ans après mon premier enregistrement, un vinyle avec Puppa Leslie et Mad Professor, je trouvais le clin d’œil intéressant. Comme une belle boucle, en somme.

C’est un disque que tu aimerais bien que tes enfants écoutent dans vingt ans ?
Euh… oui. Enfin, le plus tard sera la mieux ! (rires)

Vincent Ségal Cello (Label Bleu/Harmonia Mundi) 2007
* du 12 au 16 décembre au Centre Georges-Pompidou à Paris