Barbara en scène

On l'a finalement peu entendue sur les ondes des radios et peu vue sur les écrans télé. Barbara s'est révélée sur scène. De la jeune femme assise derrière son piano à la grande dame brune en boa noir, elle a réussi une métamorphose qui a transporté les foules et qui finalement l'a elle-même, libérée.

On l'a finalement peu entendue sur les ondes des radios et peu vue sur les écrans télé. Barbara s'est révélée sur scène. De la jeune femme assise derrière son piano à la grande dame brune en boa noir, elle a réussi une métamorphose qui a transporté les foules et qui finalement l'a elle-même, libérée.

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Valérie Lehoux : Ce qui m'a frappé, c'est l'effet conjugué de plusieurs choses : quand on voit les très vieilles images de Barbara,… et on a eu la chance récemment de voir un vieux film inédit de 2'40 de Barbara en 1953, un petit film muet qui est un document exceptionnel sur lequel on la voit telle que même toi, Marie, tu ne l'as pas connue. Elle avait les cheveux longs, elle était beaucoup plus forte qu'elle ne l'a été par la suite. Emane d'elle déjà, une espèce de charme complètement renversant. On l'a voit chanter, on ne l'entend pas. C'est très troublant, ce film-là.
On a la sensation que c'est par l'effet conjugué de l'écriture et de la scène, de l'écriture et de la parole portée en public, qu'elle s'est vraiment façonnée, dans tous les sens du terme, qu'elle s'est sans doute reconstruite ou réparée, quoique je ne suis pas sûre que cela ait été réussi, qu'elle ait été guérie.
Elle s'est façonnée physiquement aussi car c'est en montant sur scène qu'elle a façonné son corps, sa silhouette, qu'elle a coupé ses cheveux. Comme dans la symbolique aussi, dans tout ce discours qu'on peut avoir sur la renaissance à travers une création artistique surtout quand on sort d'une histoire aussi compliquée que la sienne. Et elle a sûrement été encore plus compliquée qu'on ne le pense, qu'on ne le sait. Il y a vraiment chez elle comme un effet chrysalide, une renaissance et l'apparition de quelqu'un d'autre qui était évidemment la continuité de ce qu'elle était avant. Est-ce qu'elle s'est créé un personnage ? C'est aussi la question. Est-ce que c'était une personne ou un personnage ? As t'elle créé quelque chose ? Je pense que oui.

Marie Chaix : J'ai du mal à l'analyser comme tu viens de le faire parce que durant la période que j'ai passé avec elle, j'étais d'une telle innocence dans tout cela. Une fois que j'ai adopté l'idée de travailler avec Barbara, j'ai l'impression qu tout me semblait parfaitement naturel  et elle aussi. C'est à dire que moi, je n'ai pas assisté à l'éclosion parce qu'elle a commencé à avoir un énorme succès à partir des années 60. 1965, c'était le tournant de Bobino et c'est à ce moment-là que je l'ai connu. Le fait qu'elle avait du succès n'était pas une chose qui m'étonnait. Ce qui m'inquiétait, c'était le quotidien, avec la femme qui avait beaucoup de mal à gérer ce succès. Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait.  Elle avait du succès, elle aurait du être heureuse, tout était extraordinaire. Ce qui lui arrivait était assez magique, c'est ce qu'elle avait toujours voulu. Elle disait qu'elle allait vers quelque chose, … elle voulait chanter, elle voulait la scène et puis tout à coup, on la voyait complètement déprimée, complètement effondrée et être obligée d'aller faire des cures de sommeil pour se rétablir. Hier j'ai entendu une interview où elle parle de cette époque : elle parle du succès et dit cette chose assez étonnante : "c'est terrible le succès, le succès est comme un viol". Je pense que le succès lui faisait peur.
Les souvenirs que j'en ai, c'était cette transfiguration de la femme dans la vie qui était à cette époque-là très angoissée. Par la suite, les quinze dernières années de sa vie, elle avait trouvé à mon avis une vraie paix dans ce qu'elle avait à assumer, dans ce qu'elle avait fait. Dans la journée, elle pouvait être dans des états effrayants et puis elle se transformait …on la mettait dans des coulisses, le plus tôt possible bien sûr, devant un piano, on la mettait dans sa loge. Elle passait trois heures à se maquiller et c'était quelqu'un d'autre. Elle était tout à coup un personnage. Est-ce qu'elle le créait ? moi je crois qu'elle trouvait sa vraie nature. Elle n'était jamais aussi bien que à la seconde où elle mettait le pied sur scène. J'ai eu la chance de voir ça quelques centaines de fois, en étant dans les coulisses. C'était magique, extraordinaire.

Valérie Lehoux : Je n'ai pas eu la chance de voir ça. Je ne le voyais que de la salle. Il y a quelque chose qui m'a beaucoup frappé sur le film du récital de Pantin qui est donc très tardif finalement dans sa carrière, en 81. Le réalisateur qui a vraiment fait un film formidable, avait eu la bonne idée de mettre 7 ou 8 cameras qu'il avait cachées, dont une à l'entrée des coulisses. On la voit donc sortir de scène. Elle ne voit pas la camera, clairement. De toute façon, elle est tellement barrée ailleurs qu'elle ne voit pas la camera. Tu vois son visage quand elle ne regarde plus le public et ce n'est plus le même visage. C'est à dire que face au public elle est souriante, épanouie et en sortant de scène, entrant dans les coulisses, à cette infime petite frontière entre la scène et la coulisse, tu la sens épuisée, tellement on devine que l'engagement est total. On a la sensation qu'elle est possédée, elle a un regard possédé. Je crois qu'il n'y a pas d'autre mot.

Marie Chaix : Oui elle avait un regard absent, mais je peux dire qu'elle n'était pas absente pour engueuler son monde. Quand elle sortait de scène par exemple entre des chansons, c'était généralement des hurlements soit parce que son verre d'eau n'était pas à la bonne place, ou que le son était dégueulasse mais ce n'était pas vrai, elle était obsédée par les retours. Elle avait ce coté-là. C'est vrai qu'elle n'avait plus la même nature mais ce qui prouvait aussi que tout ce qui se passait en scène, dans son dos, elle le savait. On ne pouvait pas y échapper. Si un musicien avait fait une fausse note ou même si elle, avait fait des grosses bourdes, elle le savait aussi mais c'est vrai qu'il y avait ce passage de l'un à l'autre. A la fois totalement consciente de ce que se passait et puis cet espèce de regard….

Valérie Lehoux : elle n'a pas le même regard quand elle regarde la salle.

Marie Chaix : non je sais bien. Ça, c'est le personnage, l'artiste. C'est vrai que chanter dans une salle c'est comme une drogue. C''est quelque chose d'extraordinaire, de vivre ça. On l'entend d'autres artistes et elle, elle avait particulièrement cette espèce d'addiction au public…

Valérie Lehoux : Ce qui est quand même remarquable pour elle et à mon avis plus que pour d'autres, - je ne vois pas d'exemples similaire dans l'histoire de la chanson- c'est de voir à quel point elle s'est transformée sur scène dans la première partie de sa carrière, ça c'est sûr. Barbara était une femme plutôt statique au départ, qui était à son piano. A la fin, elle traversait la scène, elle se jetait sur le piano à l'envers, à l'endroit …

Marie Chaix : Ce n'est pas ce qu'elle a fait de mieux à mon avis mais enfin…Je crois qu'elle s'est libérée à un tel point qu'elle était capable de faire n'importe quoi. Il aurait fallu l'arrêter si elle était aller plus loin. C'était une espèce de bonheur et comme les gens aimait çà, pourquoi se priver ?

Valérie Lehoux : Là, je ne suis pas d'accord ! Moi, je l'ai découvert sur scène à cette période là. On était au milieu des années 80. C'était les années pop, les années rock. C'est aussi par cette espèce de gestuelle complètement débridée d'une femme qui avait plus de 50 ans, 57 ans quand elle fait son premier Châtelet et qui se comportait vraiment comme une chanteuse de rock, que toute une génération a craqué pour elle, elle qui était d'une liberté en scène extraordinaire. Moi, c'est aussi ce que j'aimais chez Barbara. Je sais que les adeptes de la première heure disent que c'était de la caricature, etc.

Marie Chaix : Il y avait ceux qui l'avait connue à l'Ecluse, eux étaient complètement désespérés et puis il y avait ceux qui l'avait connue un peu plus tard comme moi. Elle me faisait rire de faire tout çà. C'était comme une immense liberté qu'elle s'était trouvée. Je la trouvais très culottée. Je suis allée la voir en concert un soir avec ma sœur, Anne, chanteuse de son état, (Anne Sylvestre : ndlr) qui la connaissait depuis longtemps et on avait le fou rire, on se disait : elle a du culot de faire des trucs pareils. Je n'en était pas révoltée parce que je trouvais que si elle arrivait à faire çà, c'était formidable. Effectivement, elle emportait les foules. Est-ce que c'était pour compenser aussi le fait que sa voix était moins concentrée. Je ne crois pas. Je crois que c'est parce qu'elle se sentait heureuse de faire çà et elle avait découvert que gambader sur une scène était plus drôle que de rester assise derrière son piano.

Valérie Lehoux : Cela étant, c'est quand même concomitant : plus elle a perdu sa voix, plus elle a bougé sur scène. Dans la famille chanson, surtout de cette génération là, c'est la seule…

Marie Chaix : oui, on n'imagine pas Brassens en train de faire des galipettes sur la scène.

Valérie Lehoux : Mine de rien, c'est Barbara qui a instauré çà dans la chanson d'aujourd'hui, quand on voit un Bénabar, c'est l'héritier direct de Barbara.

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