Les conclusions de la mission Olivennes passées au crible

Mise en place d’une riposte "graduée" mais massive au piratage en ligne, et généralisation du filtrage des contenus par les fournisseurs d’accès à Internet à court terme, telles sont les principales mesures préconisées par la mission Olivennes, que le gouvernement français s’est engagé à appliquer, et qui soulèvent de nombreuses questions.

Un rapport qui ouvre le débat

Mise en place d’une riposte "graduée" mais massive au piratage en ligne, et généralisation du filtrage des contenus par les fournisseurs d’accès à Internet à court terme, telles sont les principales mesures préconisées par la mission Olivennes, que le gouvernement français s’est engagé à appliquer, et qui soulèvent de nombreuses questions.

Le 23 novembre dernier, quarante et un organismes - représentant les ayants droit des filières musicale et cinématographique, les pouvoirs publics et les fournisseurs d’accès à Internet - ont signé à l’Elysée, en présence du chef de l’Etat et de plusieurs ministres, un accord "pour le développement et la protection des œuvres et programmes culturels sur les nouveaux réseaux".

Cet accord, signé en grande pompe malgré la mise à l’écart notable, dans la dernière ligne droite, des associations de consommateurs et de certains hébergeurs, est le fruit d’une mission confiée par le gouvernement à Denis Olivennes, pdg de la Fnac, qui a auditionné pendant près de deux mois tous les acteurs concernés par la question du téléchargement illégal de musique ou de films sur Internet.

Surseoir à l’inapplicabilité de la loi DADVSI

La mission Olivennes avait avant tout pour objectif de surseoir à l’incomplétude de la loi DADVSI (sur les droits d’auteurs et droits voisins dans la société de l’information), adoptée l’an dernier à l’issue d’un vif débat public.

L’une des dispositions phares de cette loi - celle qui prévoyait la mise en œuvre d’une "riposte graduée" pour lutter contre les échanges de fichiers illégaux entre particuliers, par l’entremise d’un système automatique d’amendes - a été rejetée par le Conseil constitutionnel au nom de l’égalité des citoyens devant la loi. C’est ce qui a rendue la loi DADVSI quasiment inopérante, en tout cas pour ce qui est de lutter contre les réseaux d’échange de pair à pair (peer-to-peer).

Au regard de cette loi, le moindre téléchargement illégal est en effet constitutif d’un délit de contrefaçon passible de trois ans d’emprisonnement et de 300000 euros d’amendes : une peine complètement disproportionnée, prévue pour sanctionner les actes de contrefaçon les plus graves, et parfaitement inapplicable en l’espèce, de l’aveu même des ayants droit.

Ces derniers rechignent en outre à devoir engager, contre des dizaines voire des centaines de milliers d’internautes en France, les procédures judiciaires plus ou moins lourdes rendues de facto nécessaires, précisément, par l’absence de dispositif de riposte graduée.

Mais après être sortie par la grande porte – celle du Conseil constitutionnel –, la riposte graduée revient par la petite lucarne de quatre pages du rapport Olivennes, constitutionnellement réaménagée. Il ne s’agit plus de faire payer une amende automatique de quelques dizaines d’euros à tout contrevenant, mais de lui envoyer deux avertissements, avant qu’il soit passible, en cas de récidive, d’une interruption d’office de son accès à Internet.

Comble d’infamie, son nom sera inscrit dans la liste noire des bannis de l’Internet qu’il est prévu de constituer.

Dans l’accord signé à l’Elysée, les pouvoirs publics s’engagent à saisir le parlement pour légiférer dans ce sens, probablement au printemps prochain, et à prendre les mesures réglementaires nécessaires à la mise en œuvre de ce mécanisme d’avertissement et de sanction, sous le contrôle d’une nouvelle autorité administrative.

Les fournisseurs d’accès à Internet, pour leur part, consentent à se charger d’envoyer systématiquement les messages d’avertissement aux contrevenants dont on leur signalera les adresses IP, et à appliquer les sanctions prévues le cas échéant, quitte à perdre des abonnés.

Vers une généralisation du filtrage

Les ayants droit, enfin, vont promouvoir le développement des technologies de tatouage (watermarking) et d’identification des œuvres (fingerprinting), en partenariat avec les hébergeurs et les professionnels concernés. Ces deux technologies sont les mamelles du filtrage des contenus, que les fournisseurs d’accès s’engagent par ailleurs à généraliser à court terme.

De quoi faire passer au second plan les quelques concessions des ayants droit : comme le réaménagement de la chronologie des médias en faveur de la VOD (vidéo à la demande) ; ou l’abandon, d’ici un an, des DRM (verrous numériques) sur la musique vendue en téléchargement. Ce qui revient, au passage, à rendre caduc un autre pilier de la loi DADVSI, à savoir la légalisation des DRM et l’interdiction de les contourner.

La nouvelle réponse graduée imaginée par la commission Olivennes soulève à elle seule de nombreuses questions qui restent sans réponse. Quel recours aura l’internaute face à ce qui constitue une procédure de surveillance organisée, massive et automatisée ? Quand l’intervention d’un juge sera-t-elle nécessaire ou pas ? Quid des détournements de connexion dont sont friands les vrais pirates, notamment sur les réseaux wi-fi, et dont l’abonné devra endosser la responsabilité ?

Mais la généralisation du filtrage des contenus, basé sur des catalogues d’empreintes audionumériques de référence dont les ayants droit vont faciliter la réalisation, est un des éléments les plus inquiétants parmi tous les engagements pris par l’ensemble des signataires de l’accord Olivennes. Le filtrage est certes indispensable pour détecter les œuvres protégées par le droit d’auteur qui sont échangées illégalement sur Internet, et pour repérer par la même occasion les "pirates". Mais tout dépend à quel niveau il intervient.

Le limiter au trafic peer-to-peer, qui peut être relativement bien isolé, c’est pour les ayants droit faire l’impasse sur tous les autres canaux d’échange empruntés aujourd’hui par les internautes (blogs, forums, e-mail, etc.). Mais l’instaurer au niveau des infrastructures des fournisseurs d’accès, c’est courir le risque de le voir se généraliser à tout le trafic Internet, y compris la correspondance privée, ce qui constitue une atteinte aux libertés publiques.

De quoi provoquer des débats animés lors de la prochaine session parlementaire.