Le classique selon Taraf de Haïdouks
Taraf de Haïdouks est un collectif à part. Simples musiciens de village, ces Roumains ont su redonner tout son souffle à la musique traditionnelle tsigane. Avec son sixième album Maskarada, le groupe pousse le bouchon encore plus loin : reprendre, à sa manière, des compositeurs du début du XXe siècle tels Bartόk, Khachaturian ou Albéniz.
Maskarada
Taraf de Haïdouks est un collectif à part. Simples musiciens de village, ces Roumains ont su redonner tout son souffle à la musique traditionnelle tsigane. Avec son sixième album Maskarada, le groupe pousse le bouchon encore plus loin : reprendre, à sa manière, des compositeurs du début du XXe siècle tels Bartόk, Khachaturian ou Albéniz.
Stéphane Karo, découvreur-manager-directeur artistique-porte parole du Taraf revient sur la longue maturation de cet ambitieux projet. Rencontre dans un restaurant parisien, autour de mets marocains...
RFI Musique : C’est quoi cette mascarade [traduction française de maskarada, ndlr]?
Stéphane Karo : Au départ, ça ne s’appelait pas Maskarada mais juste : "On va sortir un nouveau disque". On se demandait ce qu’on allait pouvoir faire : encore un disque de musique traditionnelle ou bien essayer de faire un truc qui sorte de l’ordinaire. On a joué avec des jazzmen, avec des Djs, on retrouve nos albums dans tous les rayons des magasins de disque, sauf dans celui du classique. On s’est dit qu’on allait reprendre de la musique classique mais sans réaliser la portée de la chose. Heureusement, on ne savait pas ce que ça allait demander comme efforts ! Au total, il nous a fallu deux ans pour arriver au bout du projet. Mais les magasins de disques n’ont pas compris, alors de temps en temps, avec le Taraf, on fait des tours dans les rayons et on déplace les albums vers les bacs classiques !
Vous reprenez, entre autres, Bartόk et Albéniz. Comment avez-vous choisi les compositeurs ?
Pour ramener les choses à nous, on s’est dit qu’il fallait choisir des compositeurs classiques qui se soient inspirés du folklore, dans lequel on entend l’apport traditionnel. C’était comme une boucle bouclée : que des musiciens de village reprennent une pièce écrite par un compositeur s’inspirant des musiques de village. C’est un peu comme le voleur volé. Sauf que là, le portefeuille volé avait un élastique ! Il y a eu des tas de surprises... J’ai fait une sélection de pièces. Les musiciens ont choisi, à l’oreille, ce qui leur semblait le plus proche. Tu ne peux pas les faire jouer ce qu’ils n’aiment pas. C’est ce qui les différencie des musiciens classiques ! Après, il a fallu beaucoup de rigueur. Je leur ai dit : "Les gars, on ne change rien à ces morceaux tant que vous ne savez pas les jouer parfaitement, sinon ça ne sert à rien". Il leur a fallu apprendre les partitions par cœur, mais à l’oreille [Les Taraf de Haidouks ne lisent pas la musique, ndlr]
Ça a été le rôle de David Baltuch, le "superviseur musical" ?
On s’est adressé à un homme qui vient du classique parce que dans le Taraf, il n’y a pas de leader. Chacun joue sur l’autre, c’est comme une surenchère mais tout le monde connaît le morceau. Ici, on se trouvait dans un autre cas de figure, parfois il y a plusieurs voix, il y a des changements de tonalités, de rythmes. Il fallait aussi que tous les violonistes sachent plus ou moins jouer la même chose au même moment. Dans leur répertoire habituel, ce n’est pas le cas. David Baltuch a dirigé les musiciens, en faisant de petits groupes en fonction des instruments. Une fois que tout le monde était plus ou moins content du résultat, ils se remettaient tous ensemble et la pièce avançait. C’est la première fois qu’ils jouent une musique où toutes les mesures de début et de fin correspondent pour tout le monde. On respecte les harmonies et les mélodies mais ils ont apportés leurs trucages, qui viennent de leur technique à eux. ça devient impalpable, le musicien connaît l’accord mais ça va bifurquer. Il va enlever une note parce qu’elle ne lui convient pas ou il va en rajouter pour terminer la mesure, afin que les autres sachent que c’est à eux de rentrer dans le morceau. Ils ont des tas de trucs mnémotechniques. La pièce est "classique" mais elle redevient vivante.
On entend un public qui applaudit entre certains morceaux, c’est ça la mascarade ?
Non, c’est parce que le type en charge du mixage a laissé les applaudissements. Tu as des surprises à toutes les étapes de la fabrication d’un disque… J’avais réservé pour une semaine un studio ou plutôt une grande salle à Bruxelles où on a enregistré le résultat de tout ce travail avec David Baltuch. On avait aménagé deux enregistrements publics. Les autres jours, on pouvait s’arrêter, faire 42 prises du même passage. Pour moi, ces deux concerts, c’était un appât pour faire travailler le groupe, je ne pensais pas spécialement les garder. Je comptais sur les heures de studio mais, au final, on n'a monté que ces enregistrements live. Généralement, ils font plus d’efforts quand ils jouent face à un public. Ce sont des musiciens de village.
Ces "nouveaux" morceaux passent comment sur scène ?
Pour l’anecdote, une fois, pendant les répétitions, j’étais assez découragé. Les musiciens devaient faire un concert sur la grande place de Bruxelles alors je leur ai demandé d’intégrer quelques morceaux classiques. Ils ont fait Asturias d’Albéniz, ils se sont bien plantés mais ils se sont lâchés ! Ils l’ont pris trop vite mais ils ne sont pas du genre à ralentir. Une fois lancés, ils sont les rois, personne ne va les arrêter ! J’avais l’impression d’entendre non pas des violons mais des guitares électriques. Tous les jeunes devant la scène dansaient sur du Albéniz. Voilà ce qu’on est parvenu à faire, faire danser le public sur des musiques qu’il n’écoute pas.
Taraf de Haidouks Maskarada (Crammed Discs) 2007