Toumani Diabaté en solo

Vingt ans après son premier album solo, le maestro de la kora sort à nouveau un éblouissant  exercice de musique en solitaire qu’il a présenté le week-end dernier à Séville, perle de l’Andalousie.

Kora nue pour habiller esprit perdu

Vingt ans après son premier album solo, le maestro de la kora sort à nouveau un éblouissant  exercice de musique en solitaire qu’il a présenté le week-end dernier à Séville, perle de l’Andalousie.

Samedi 19 janvier, peu après 13h, effervescence sur le Patio de Banderas, dans le cœur historique de Séville. Un étrange équipage pénètre sur la place plantée d’orangers bien alignés croulant sous les fruits, appétissants mais trompeurs. La saveur s’en révèlerait acide au gourmand qui voudrait y goûter. Une calèche arrive devant la porte de l’Alcazar, l’un des joyaux historiques et architecturaux de cette cité qui n’en manque pas, avec à son bord un homme africain drapé dans un grand boubou. Il tient dans ses mains un étrange objet fait d’une grosse boule sur lequel est fiché un manche tendu vers le ciel. On y distingue des cordes. Les photographes s’affairent, les touristes étonnés questionnent.

C’est un musicien malien. Il s’appelle Toumani Diabaté. Il joue de la kora. Décidément, c’est fou toutes les choses étonnantes qu’on peut voir dans cette ville magnifique se diront ceux-là en repartant, guide et plan à la main, vers d’autres découvertes plus prévisibles. Les autres, journalistes, professionnels du monde musical et quelques amis privilégiés, suivent à l’intérieur de l’une des salles de l’Alcazar le musicien.

Celui-ci a donné un concert la veille, ici, devant quelques 200 happy few, dont Monsieur le Maire de la ville. Dans un décor surréaliste d’antiques tentures, ce fut une heure de pur moment musical offert par le plus grand joueur de kora de la planète. Toumani Diabaté a proposé un aperçu de son nouvel album, The Mandé Variations, à paraître dans quelques semaines, sur le label anglais au goût sûr World Circuit (Buena Vista Social Club, Anga Diaz, Oumou Sangaré, Ali Farka Touré…).

Seul en scène, Toumani Diabaté a interprété essentiellement des titres de cette nouvelle production, notamment Cantelowes, relecture de Diaraby, l’un de ses morceaux fétiches, une chanson d’amour empruntée au grand répertoire traditionnel et Kaounding Cissoko, "dédié à tous le joueurs de kora décédés" explique Toumani Diabaté en parlant de ce titre portant le nom d’un virtuose sénégalais de l’instrument, disparu en 2003, qui fut le partenaire privilégié de Baaba Maal.

Le lendemain, donc, de ce moment musical parfait, place aux explications, au décryptage. Musicien justifiez-vous !  Pourquoi ce disque solo et quel sens lui donnez-vous dans votre carrière faite de multiples rencontres musicales (du groupe de nuevo flamenco Ketama, à Séville, en 1987 pour le fameux album Songhaï, disque jalon des musiques du monde, à Björk) et après avoir enregistré votre album précédent avec un big band, le Symmetric Orchestra, réunissant musiciens et chanteurs de différents pays d’Afrique de l’Ouest ? Ce n’est pas un tribunal. Cela s’appelle une conférence de presse.

Le message spirituel de la kora

Autour de la table et le long des murs de la salle, stylos et micros sont prêts. Leurs propriétaires viennent d’Espagne, mais aussi d’Angleterre, de Hollande, de France. Vingt ans après Kaira, son premier album sorti en 1988 (enregistré à Londres l’année précédente), Toumani Diabaté ose à nouveau un disque en solo, baptisé The Mandé Variations. "La kora, beaucoup de monde maintenant sait à peu près à quoi ça ressemble, comment c’est fabriqué, qu’elle comporte 21 cordes, déclare le musicien. Mais peu connaissent son message spirituel". Le monde perd la boule, une foule de gens court après l’argent, les biens matériels, l’humanité manque terriblement de spiritualité, insiste Toumani Diabaté.

La kora doit participer à ramener l’homme dans le bon chemin. "La musique africaine, faut-il le rappeler encore, ce ne sont pas seulement les percussions et la danse. En Afrique, il y a aussi une musique pour la méditation." Jouer seul, nous confiera plus tard le musicien, c’est également le moyen  peut-être d’exprimer quelque chose de davantage intime, des sensations fondamentales qui viennent du plus profond de soi. Jouer seul, c’est aussi évidemment avoir plus de liberté pour improviser. "Quand on a des musiciens autour de soi, on ne peut pas aller n’importe où, sinon ils vont se perdre. Tu n’as plus la possibilité de jouer complètement d’instinct. Ce que doit permettre normalement une musique comme la notre qui n’est pas écrite."

Il ne faudrait pas croire néanmoins que Toumani Diabaté a définitivement tourné la page, changé de cap. Jusqu’en mars il va tourner aux Etats-Unis, avec le Symmetric Orchestra, puis il reviendra à partir d’avril en France pour une série de concerts où l’on pourra l’entendre à la fois en solo et en quintet.

 Ecoutez un extrait de

Toumani Diabaté The Mandé Variations (World Circuit – Harmonia Mundi). Sortie le 21 février.
En concert à Paris (Bouffes du Nord)  le 25 avril. Puis tournée d'été.