La sombre poésie de Theo Hakola

Pour clore sa douzième édition, le festival rock dédié aux groupes non signés par des majors et peu diffusés avait invité, samedi 9 février, un doyen du rock : l’Américain francophone Theo Hakola. Un inaperçu pas comme les autres qui sévit depuis plus de vingt ans sur la scène indépendante. Reportage au Divan du Monde, à Paris, où il a chatouillé pendant près de deux heures les oreilles et les esprits du public parisien.

Un grand au festival des Inaperçus

Pour clore sa douzième édition, le festival rock dédié aux groupes non signés par des majors et peu diffusés avait invité, samedi 9 février, un doyen du rock : l’Américain francophone Theo Hakola. Un inaperçu pas comme les autres qui sévit depuis plus de vingt ans sur la scène indépendante. Reportage au Divan du Monde, à Paris, où il a chatouillé pendant près de deux heures les oreilles et les esprits du public parisien.

Il a monté les groupes Orchestre Rouge et Passion Fodder, côtoyé et bœufé avec les Bad Seeds de son pote Nick Cave, produit Noir Désir ou encore Les Hurleurs, sorti cinq albums solo en auto-production… Etre aussi musicalement actif et créatif depuis les années 1980 et jouer dans un festival d’artistes inaperçus, Theo Hakola, 54 ans, trouve ça très cocasse. "J’ai sorti l’an dernier un disque qui est un chef d’œuvre, que personne n’a voulu produire. Je tourne peu alors que je rêve de donner cent concerts par an. Je suis un has been dont on ne parle plus, j’ai toute ma place ici !", dit-il en toute franchise.

Ce soir là pourtant, au Divan du Monde, personne n’oserait traiter cet Américain débarqué à Paris en 1978 d’artiste dépassé. Quand il entonne sa première ritournelle, le silence est quasi-religieux. Le public tout ouï, comme hypnotisé par la voix grave et le débit incantatoire de Theo Hakola. "C’est un maître, une référence pour plein de groupes de rock. Son style et son ton sont uniques", décrypte Pascal Renoult, programmateur du festival parisien.

Les mélodies noires et torturées du chantre collent à son apparence : complet-veston chic, avec veste brodée de soie et bagues serties de sombres pierres précieuses… L’homme a la classe. Et un humour très particulier, qu’il distille l’air de rien. Entre ses chansons : "maintenant que la cigarette est interdite, je peux vous sentir et… c’est dommage : vous schlinguez, c’est pas possible ! " Ou pendant : N’importe quelle crotte qui porte la marque / Qui porte la marque qui brille / Achetez-là ô tendre jeunesse sur Ô Tendre jeunesse. Provoc’, rock, engagement, poésie, blues, folk, prose généreuse et diction posée : autant d’ingrédients qui composent le cocktail Theo Hakola.

"Nous avons eu envie de faire redécouvrir ce personnage plein de facettes, qui écrit des romans, fait du théâtre, et qui a une vraie réflexion sur la création", explique Pascal Renoult. Si certains entendent chanter Theo Hakola pour la première fois, la plupart des spectateurs (trentenaires et quarantenaires) semblent venus en fans. Il y a ceux qui, au premier rang, ne bougent que les lèvres, récitant des paroles qu’ils connaissent sur le bout de la langue. Ceux qui s’agitent au moindre sursaut de guitares ou de batterie. Et puis d’autres, qui réclament leur morceau préféré, prenant Theo Hakola et son quartet guitare, violon, basse, batterie pour un juke-box.

Les titres en anglais dominent (Hunger Burns, du dernier album du chantre, mais aussi des reprises de l’époque d’Orchestre Rouge et de Passion Fodder). Du coup, quand le rockeur prend le micro en français (Il n’y a pas de jolie fille à droite, J’envie le serpent), c’est presque exotique ! Il a beau maîtriser parfaitement la langue de Molière et ses rimes et astuces, son accent américain le poursuit. Comme son sentiment d’être en France un étranger, malgré toutes ces années passées à Paris. "J’ai parfois envie de retourner aux Etats-Unis, pour la montagne et le base-ball. Puis je me dis que là-bas, je ne pourrais pas vivre de mon art. Ici, j’en vis mal, mais j’en vis quand même ! " Mais au fond, Theo Hakola se fout du "business" comme il dit avec une pointe de mépris. Ce qui l’importe, c’est de maintenir en vie une liberté en train de mourir, comme il l’a chanté avant de quitter son auditoire.

Theo Hakola Drunk Women and Sexual Water (Wobby Ashes Records / Anticraft) 2007