La voie intérieure de Julien Jacob
Né au Bénin de parents antillais, élevé dans le Sud de la France, Julien Jacob vibre pour la musique depuis toujours. Apprécié de ses pairs, ce personnage à part échappe à la sacro-sainte loi des genres, avec une musique qui brasse de nombreuses influences, de la folk mélancolique aux touches électroniques, et surtout grâce à un langage imaginaire, une espèce d’esperanto intime qui colle parfaitement aux propos imagés de sa voix si sensuelle, si originale. Rencontre à l’occasion de la parution d’un troisième album, Barham, qui poursuit dans le même sillon poétique que les deux précédents, Shanti et Cotonou.
L'invention d'une langue
Né au Bénin de parents antillais, élevé dans le Sud de la France, Julien Jacob vibre pour la musique depuis toujours. Apprécié de ses pairs, ce personnage à part échappe à la sacro-sainte loi des genres, avec une musique qui brasse de nombreuses influences, de la folk mélancolique aux touches électroniques, et surtout grâce à un langage imaginaire, une espèce d’esperanto intime qui colle parfaitement aux propos imagés de sa voix si sensuelle, si originale. Rencontre à l’occasion de la parution d’un troisième album, Barham, qui poursuit dans le même sillon poétique que les deux précédents, Shanti et Cotonou.
RFI Musique : Comment est née l’idée d’inventer votre propre langue ?
Julien Jacob : Ce n’est pas une démarche volontaire. Cette langue est venue vers moi, il y a un peu plus de dix ans. Elle a jailli de l’intérieur, je l’ai accueillie, sans chercher à la réprimer. Je crois qu’elle était là depuis bien longtemps déjà.
Quelle place tient-elle dans le processus de création ?
Cela fonctionne comme pour la musique. Je prends la guitare, la mélodie vient et les mots arrivent en même temps. Je suis incapable d’y réfléchir. Tout se passe à l’instinct, comme dans une tradition orale. Je n’ai pas besoin de l’écrire pour m’en souvenir. En fait, je ne consigne mes textes que pour mes livrets d’album.
Quel sens lui donner ?
Ce n’est pas un langage corseté, donc chacun peut y trouver le sens qu’il veut, selon son vécu, sa sensibilité. Il s’agit d’un travail basé sur les vibrations dont le but est d’entrer en résonance avec les vibrations intérieures de l’auditeur. Il s’agit d’une quête intime, au cours de laquelle je cherche les sédiments qui sont en moi, afin de dévoiler le mystère de mon être. Quelque chose de forcément intraduisible par des mots, mais qui laisse à la voix sa qualité première : la libre expression, un peu à la manière des nourrissons avant que la parole "officielle" impose son univers. D’ailleurs, c’est tout le contraire d’une démarche intellectuelle, je ne m’adresse qu’au sensitif, au domaine du sensible. Au cœur et à l’âme, non au cerveau. La voix n’est plus emprisonnée dans des mots codés, lourds de sens. Elle ne les sert plus, elle sert une voie intérieure. En fait, je parle à l’oreille intérieure, pas aux oreilles. C’est d’autant plus nécessaire qu’en France, le texte prime sur tout.
Une telle liberté offre plus de place à l’improvisation…
Oui, plus de liberté à l’expression vivante. En concert, je module constamment. Au moins 30% de ce que je chante est improvisé. C’est un risque car il faut que ça sorte et surtout que ça sonne comme un dialecte. Et non comme du yaourt. Je suis toujours très heureux lorsque des Africains viennent me voir après un concert pour me demander d’où je suis originaire, dans quelle langue je chante.
A-t-elle évolué au cours de ces dix ans et trois disques ?
Je suis dans un puits, que je creuse toujours plus profond. J’essaie d’être toujours mieux à l’écoute de moi-même. D’ailleurs, pour ne pas subir d’influences extérieures, j’écoute très peu de musique afin de pas parasiter cette quête. J’ai toujours préféré les chercheurs en musique que ceux qui ont des réponses. On ne trouve jamais, heureusement. En revanche, dans ce cheminement, on ne cesse de découvrir et de se découvrir.
Paradoxalement, vous avez aussi écrit un livre, Alors sois, publié en 1998. Cette fois avec des vrais mots… Y a-t-il contradiction ?
Non, au contraire. En fait, j’ai écrit cinq livres, et celui-ci est le seul que j’ai publié. Je suis en train de terminer l’écriture du sixième et je compte me dégager du temps pour le faire éditer. Il s’agit de recueils poétiques, de textes engagés dans une quête spirituelle, sans appartenir à aucun mouvement. Si ce n’est celui du mystère de la vie.
Ces livres sont donc les compléments d’objet indirect des chansons ?
(Rires) Disons que cela traduit de manière intelligible ce que j’essaie de faire passer de façon plus subtile en musique.
Vous avez souvent recours au mot "essayer", qui témoigne de l’humilité de votre personnalité. Est-ce facile à vivre ainsi, dans un monde où tout invite à être sûr de soi ?
Face à ceux qui sont sûrs d’eux, j’ai tendance à tourner le dos, non pas à courber l’échine. Je m’en détourne parce que je pense qu’ils n’ont pas grand-chose à dire. Je ne suis pas trop fan de ce qui est convenu, de tout ce qui va de soi. Voilà pourquoi l’improvisation m’intéresse, comme un terrain d’écoute des autres, donc de soi, bourré d’incertitudes. Je me souviens lors d’une carte blanche que m’avait offerte le festival d’Art-Rock, à Saint Brieuc, j’avais proposé à mes musiciens de monter sur scène, sans préparation. On a joué ainsi pendant deux heures, et le public ne s’est rendu compte de rien. Ce fut un moment musical intense et magique. C’est aussi dans cet état d’esprit que je décide pour mes disques de ne pas enregistrer avec les musiciens qui sont avec moi sur scène. Histoire de casser les habitudes, d’ouvrir le champ des possibles.
A propos de disques, que signifie Barham, la composition qui donne son titre à cet objet ?
Cette chanson parle de la colonisation et de l’esclavage. C’est l’histoire d’un vieux monsieur qui raconte à un lointain descendant, son arrière-arrière petit-fils, d’où il vient. Pour ne pas oublier son histoire, pour pouvoir avoir un juste regard sur ceux qui l’entourent. Sans colère. Parce que nous avons tous, les afro-américains, un énorme trou de mémoire !
Le fait d’être né au Bénin vous hante ?
C’est dans mes cellules ! C’est là que j’ai respiré pour la première fois, que j’ai entendu les premiers sons. Même si je n’y ai jamais remis les pieds depuis, le Bénin est un lieu important, déterminant pour qui je suis aujourd’hui. Les vibrations et les rythmes de ce pays, de l’Afrique, font partie de ma musique, sans doute avec une influence plus forte que les Antilles d’où mes parents sont originaires. Et puis sur le plan spirituel et symbolique, le Bénin est un lieu très chargé.
Tout de même, dans ce nouveau langage, on peut aussi entendre des échos du créole. Comme dit le philosophe martiniquais Edouard Glissant : Vous parlez en présence de toutes les langues…
Je ne connais pas cet auteur, mais cette phrase fait évidemment sens. Je parle et comprends le créole, bien que mon père m’ait interdit de l’utiliser. Entre eux, mes parents se parlaient en créole, mais leurs enfants devaient maîtriser le français, dans un soucis constant d’intégration. Résultat : jusqu’à 12,13 ans j’avais une certaine honte de ma culture, que je taisais à l’école. C’est drôle parce qu’en même temps, mon père avait la volonté de connaître ses racines africaines, et c’est pourquoi en tant que militaire il était venu en mission au Bénin. Plus largement, j’ai très tôt baigné dans la musique antillaise, à travers mon père qui était plongé là-dedans. Il y avait des fêtes monstrueuses à la maison, j’allais souvent aux bals, je rencontrais des musiciens, sans parler des vinyles.
Dans votre poétique, il existe aussi de nombreuses consonances arabes…
La culture arabe, dans son ensemble, m’a toujours touché : les chants soufis, les lentes mélodies, leur très vieille sagesse…
Les tempos lents aussi, là où vous semblez à mon sens le plus à l’aise ?
Mon berceau, c’est quand même les tempos lents. Ils correspondent à un état de contemplation, de méditation, d’immersion dans un monde intérieur. Lorsque les rythmes sont plus enlevés, j’essaie de traduire mon état d’esprit au réveil, une ouverture différente aux autres. Mais franchement, ce n’est jamais très speed. L’essence de ma musique, que l’on pourrait ranger sous l’étiquette forcément restrictive d’afro-folk, c’est tout de même le cool.
Julien Jacob Barham (Volvox Music/Sounds) 2008