Starmania, version haïtienne

Une comédie musicale en créole

En quatre ans, les responsables de Tohu, la Cité des arts du cirque de Montréal n’avaient jamais vu ça. Les billets pour Starmania, l’opéra-rock présenté par la troupe Haïti en scène du 26 au 30 mars, se sont littéralement envolés. Il a fallu ajouter des séances supplémentaires. De New York, de Boston, de plusieurs villes canadiennes, des Haïtiens viennent voir leurs compatriotes. Ils viennent aussi du quartier Saint-Michel tout proche où demeure une grande partie de la communauté haïtienne montréalaise. Au Québec, cette production suscite beaucoup de curiosité car le public n’a jamais eu l’occasion d’entendre une version caribéenne de la création du Québécois Luc Plamondon et du Français Michel Berger.

Au Québec, il suffit de se balader au gré de la bande FM pour tomber rapidement sur les classiques de Starmania trente ans après leur création, comme Stone ou le Blues du businessman.

En Haïti par contre, cet opéra-rock demeure à peu près inconnu. Voilà pourquoi le metteur en scène Bertrand Labarre qui vit depuis six ans dans ce pays, l’a proposé à la troupe Haïti en scène de Port-au-Prince comme première production à monter. "À toutes fins pratiques, le rock existe très peu dans l’île. Dans la première version du spectacle que nous avons monté en 2006, on s’est fait plaisir avec des riffs de guitares qui déchirent, et ça a marché. Le public a aimé." La ressemblance entre la situation plutôt chaotique en Haïti et la lutte de pouvoir entre un magnat des affaires, épris de politique, et les gangs armés des Étoiles noires que relate Starmania, explique peut-être aussi  leur succès.

En fondant la troupe, Bertrand Labarre, Stevenson Théodore et Jean-René Delsoin visaient deux buts. D’une part, offrir aux Haïtiens des spectacles mariant la musique, la danse, le jeu et d’autre part, permettre à des jeunes talents d’émerger, de vivre à plein leur passion. Avec l’aide de musiciens professionnels, les chanteurs et les danseurs apprennent leur métier qui deviendra peut-être leur profession. Pour atteindre son rêve, Ralph Jean-Baptiste a même choisi l’exil aux États-Unis, où pour l’instant il se produit dans les églises de l’Ohio. "C’est un rêve d’enfant pour moi de chanter" explique celui qui interprète Johnny Roquefort dans le spectacle. La voix de Sophonie Lousius, elle, s’emballe lorsque la jeune fille évoque le moment où elle est entrée dans la peau de Marie-Jeanne, la serveuse automate. Sa mère voudrait bien qu’elle poursuive des études d’infirmières, mais ce que cette habitante de Port-au-Prince aime, c’est la chanson.

Pour les douze chanteurs, les six musiciens, et les sept danseurs, ce spectacle à Montréal représente donc un cadeau unique. Pour venir en Amérique du Nord, la troupe a bénéficié de l’aide de Michaëlle Jean, la gouverneure générale du Canada qui a vu Starmania lors d’une visite dans son pays d’origine, et des responsables de la Tohu, la salle de spectacle, en voyage dans la ville haïtienne de Jacmel. "On a mis trois mois pour mettre au point une nouvelle version du spectacle", confie le metteur en scène.

Conscients d’arriver dans la patrie de naissance de l’opéra-rock, les concepteurs ont  évité de copier une version occidentale. D’où le choix de donner la vedette aux rythmes haïtiens et caribéens, de miser sur les tambours et d’introduire le créole dans les chansons. Un premier chanteur, Robinson Auguste, a planché sur le texte pour chercher des liens entre les deux textes. Il faut entendre l’interprétation haïtienne de Monopolis  pour comprendre que l’uniformisation des villes n’a rien d’un phénomène occidental. En adaptant Starmania à leur propre culture, les artistes d’Haïti en scène ont réussi à donner un caractère véritablement universel à l’opéra-rock. C’est peut-être ce qui a touché au cœur Luc Plamondon, l’un de ses créateurs. Le compositeur parraine le spectacle. Il a aussi passé plusieurs jours à aider la troupe à couper dans les chansons pour que la durée du spectacle n’excède pas deux heures.

Pascale Guéricolas