dEUS, l’impossible équation ?

Après bientôt vingt ans d’existence, le mythique groupe belge publie son cinquième album en date. Plus accessible et extraverti que les précédents opus, le très rock Vantage Point  se veut le témoignage d’une formation enfin stabilisée et d’un leader – le bouillonnant Tom Barman – toujours tiraillé entre passé "glorieux" et futur à inventer, entre avant-garde et réussite commerciale. Mise au point.

Le pari de Vantage Point

Après bientôt vingt ans d’existence, le mythique groupe belge publie son cinquième album en date. Plus accessible et extraverti que les précédents opus, le très rock Vantage Point  se veut le témoignage d’une formation enfin stabilisée et d’un leader – le bouillonnant Tom Barman – toujours tiraillé entre passé "glorieux" et futur à inventer, entre avant-garde et réussite commerciale. Mise au point.

Il a beau s’avouer fatigué par son récent marathon promotionnel, Tom Barman parle vite, fort, et frappe volontiers du poing sur la table pour appuyer son propos. "Par nature, j'ai beaucoup d’énergie", reconnaît-il dans un français impeccable. Une force motrice longtemps épuisée dans d’interminables querelles avec ses compagnons d’équipage : "Quand je vois l’immense énergie que j’ai mise à détendre des situations, à apaiser des feux, à  plaire à certains... J’ai perdu trop de temps de ma vie là-dedans et je commence seulement à le comprendre".

De fait, pour cet unique rescapé – avec le violoniste Klaas Janzoos – des premières années du groupe, l’histoire a un poids, une pesanteur même. Fondé à Anvers au début des années 1990, Deus a vécu plusieurs vies. Il a signé l’acte fondateur du rock indé belge en 1994 – le phénoménal Worst Case Scenario et son tube alternatif Suds and Soda –, déploré au moins cinq départs dont celui, retentissant, du chanteur Stef Kamil Carlens (parti fonder les indispensables Zita Swoon) et marqué la scène européenne de son empreinte unique mêlant pop-rock mélodique, free-jazz et envolées bruitistes. De quoi donner le sens des responsabilités…

Une nouvelle sérénité

Eloigné du tumulte et rentré dans le rang depuis le précédent Pocket Revolution, Deus semble depuis goûter à une certaine stabilité : des musiciens qui restent, un nouveau studio à Anvers, et une ligne artistique moins tortueuse et sombre. "C’est un peu dangereux de parler de stabilité chez nous, sourit Tom Barman. Mais disons qu’il y a une forme de sérénité que j’adore." Au risque de perdre un peu de l’esprit frondeur des débuts ? "Un fantasme de journaliste, rétorque-t-il. Nos deux meilleurs disques, Worst Case Scenario et Ideal Crash, ont été faits dans le calme."

Reste que Vantage Point, comparé aux deux disques précités, semble davantage dompté, maîtrisé. Pas plus de quatre minutes par morceau, une approche plus directe, voire dansante avec le très "princien" single The Architect : "Nous voulions un funk de blancs, comme les Talking Heads. Pas de samples électro ici, tout a été joué boucle par boucle, pendant des heures, avant de trouver la structure définitive".

Excepté cette incursion plutôt ludique dans le groove, la dominante reste le rock. Un rock efficace, exécuté au cordeau par un groupe à la cohésion (re)trouvée, à l’image du vénéneux Slow, sommet de l’album. "Celui-là, on l’a conçu tous ensemble dans un moment de magie. C’est la chanson dont je suis le plus fier." C’est lorsque le combo anversois s’adonne à la ballade pop que l’affaire se corse un peu : si le très radiophonique Eternal Woman (chanté en duo avec Lies Lorquet, du groupe belge Mintzkov) est une belle réussite mélodique, le final Popular Culture bascule dans un registre pompier proche du ridicule.

En quête de popularité

On touche là au nœud gordien du Deus "nouvelle génération" : concilier ce goût pour les bizarreries soniques et le rock free, qui ont fait sa réputation passée, avec la quête du tube pop par excellence, certes improbable mais commercialement plus gratifiante. "J’aimerais qu’on soit beaucoup plus populaire qu’on l’est, admet Tom Barman. Je déteste que Deus soit parfois assimilé à un groupe culte. Plus d’un million d’albums vendus en 15 ans, ça n’est pas assez. Notre faiblesse ? L’éclectisme : faire un single de pure pop, puis un morceau qui se termine en tremblement de terre, ça n’aide pas au succès commercial."

Doit-on s’attendre alors à de nouvelles chansons au format plus calibré ? Déni de l’intéressé : "Ca ne m’intéresse plus trop. J’adore la pop, mais je veux aller vers des compos moins classiques, vers un travail collectif". Un retour aux longues improvisations flamboyantes des débuts ? "On a trop fait de morceaux avec une fin improvisée, de jam sessions qui ont donné de mauvais concerts… J’aimerais faire table rase du passé." L’auteur du légendaire Little Arithmetics  tient cependant à nous rassurer : "Il y aura un côté free dans nos concerts. Cet aspect-là ne disparaîtra jamais totalement". Stable, mais indécis…

Musique à part, le groupe et sa maison de disques Universal Music se trouvent actuellement au cœur d’une controverse avec les quotidiens belges Le Soir et De Morgen. Ces derniers ont rompu un embargo signé avec le label en publiant une interview de Tom Barman deux jours avant la date fixée. Ceci afin de protester contre l’astreinte de 25 000 € imposée par Universal Music en cas de non respect du contrat.

 Ecoutez un extrait de

dEUS Vantage Point (V2/Universal Music) 2008
En concert le 4 juillet aux Eurockéennes de Belfort.