Africaphonie à Paris

Commémoration de l'abolition de l'esclavage

Dans le cadre du festival Africaphonie, une foule d’artistes des Antilles, d’Afrique, de Guyane ou de la Réunion s’est réunie pour célébrer le 160e anniversaire de l’abolition de l’esclavage le 10 mai dernier.

Le soleil décline doucement à Paris, sur le parc de la Villette et une longue file d’attente se forme devant le Cabaret Sauvage.

Ce 10 mai 2008, journée nationale de la commémoration de l’abolition de l’esclavage, le festival Africaphonie rassemble des artistes "africaphones", ceux qui à travers l’histoire de leur terre et de l’humanité, sont de fait reliés au continent africain. Ceux dont les musiques donnent aussi à entendre l’exil forcé d’Afrique, l’intégration, ailleurs. Une soirée, pour se rappeler quatre siècles de Traite, mais aussi célébrer ce jour du 10 mai 1848. Une fête, donc, et une belle affiche qui réunit des artistes phares de Martinique, de Guadeloupe, de la Réunion, de Guyane, de métropole et bien sûr d’Afrique.

Liberté !

Sur le sol marquetté du Cabaret Sauvage, les danseurs de la troupe réunionnaise Artmayage offrent leur délicate vision d’une abolition qui passe d’abord par la liberté des corps. Puis, une jeune femme rend hommage à Aimé Césaire. Sally Nyolo, Blick Blassy, Muntu Valdo ou Lameck célèbrent chacun à leur façon le devoir de mémoire. Le temps s’écoule, arrêté par de (souvent) longs changements de plateaux, malgré la bonne humeur et les efforts de l’ambianceur Gyver Hypman.

Déjà minuit et demi. C’est au tour de la Marseillaise Soha de monter sur scène. Elle lance un vigoureux "Vive le travail de mémoire" et surchauffe un public subjugué. Soha décape, retire ses talons et flirte sans transition avec les îles et leurs influences. On embarque élégamment pour Cuba, la Jamaïque, le Cap-vert…

Minute de silence

Dernier métro oblige, le public s’est dispersé. Restent les Martiniquais, les Guadeloupéens, les Réunionnais ou les Guyanais, qui attendent toujours les artistes de leur île. Le Réunionnais Davy Sicard, tout en blanc, est seul avec sa guitare et demande une minute de silence, "pour la mémoire".  Il entonne ensuite son "maloya kabosé", les paupières closes, visiblement très ému. Il interrompt son chant, entame Au nom de mes pères par un cri de liberté. Chacun sait désormais pourquoi il est là. Davy Sicard descend ensuite danser un maloya, rythmé par les battements de pieds sur le sol du Cabaret. Après un interlude humoristique incongru, Bibi Tanga arrive sur scène et s’interroge : que pouvaient bien penser les villageois africains avant qu’on les arrache à leur terre ? Il en fait une chanson, qui sonne comme la bande originale d’un film de blackxploitation. Bientôt rejoint par Atissou du groupe Adjabel, Bibi Tanga s’adapte au gros son des percussions haïtiennes. Il est tard, et tous les artistes ne pourront plus monter sur scène. Les duos s’improvisent.

Transe haïtienne

A trois heures du matin bien sonnées, c’est un nouvel électrochoc. Adjabel et la chanteuse Ifé organisent une rencontre inattendue entre le funk et la cadence infernale du ra-ra haïtien…Transe garantie. Dédé Saint Prix monte sur scène et souffle dans un lambi démesuré, avant d’entamer aux percussions son rythme favori, le chouval bwa. La Guyanaise Elsa Martine débarque. Dédé Saint Prix rend hommage à Aimé Césaire et lance un "Aimé lé ou parti, travail la ka continué" ("Aimé, tu es parti, la lutte continue"), repris en chœur par la petite centaine de privilégiés restés fidèles au poste…

La nuit continue. Les "africaphones" dansent encore, remués par des pulsations, présentes ou bien lointaines, qui rappellent en musique l’exil forcé du peuple noir et ses fécondes filiations.

Eglantine Chabasseur