Le pari audacieux de Rokia Traore
La démarche de Rokia Traore ne manque pas de courage : rares sont les artistes qui osent changer la recette avec laquelle ils ont rencontré le succès. Sur Tchamantché, son quatrième album qu’elle a longuement mûri, la chanteuse malienne présente une autre facette de sa personnalité artistique à travers une orchestration davantage contemporaine.
Tchamantché ou le début d’un nouveau cycle
La démarche de Rokia Traore ne manque pas de courage : rares sont les artistes qui osent changer la recette avec laquelle ils ont rencontré le succès. Sur Tchamantché, son quatrième album qu’elle a longuement mûri, la chanteuse malienne présente une autre facette de sa personnalité artistique à travers une orchestration davantage contemporaine.
RFI Musique : A quel moment avez-vous eu envie de changer de direction sur le plan musical ?
Rokia Traore : Ça ne s’est pas fait tout d’un coup mais au fil des rencontres. Depuis des années, on n’arrête pas de m’inviter sur des projets très différents et j’ai toujours émis le souhait de sortir du genre dans lequel j’évoluais. Je trouve dommage de se renfermer dans un style. En revanche, on ne peut pas se permettre de changer n’importe quand. Après Bowmboi en 2003, j’ai senti que j’étais arrivée au bout d’une démarche. Une chose était sûre : je n’avais plus envie de travailler avec la même orchestration. Par exemple le balafon, qui était en grande partie la base de ma musique. J’avais l’impression d’en avoir fait le tour. Tant qu’à changer, autant le faire radicalement.
Est-ce aussi simple à décréter qu’à réaliser ?
Quand on part d’un projet abouti avec trois albums "maîtrisés" pour faire quelque chose de nouveau, ceux qui étaient déjà à vos côtés avant, restent sceptiques en général. Garder confiance en soi, comprendre l’état d’esprit des gens avec qui on travaille tout en restant sur ses positions, ce n’est pas évident. C’est très difficile de ne pas se laisser ébranler. On se dit : "Et s’ils avaient raison ?"
Comment avez-vous imaginé ce nouvel album ?
Je voulais un disque autour de la guitare, avec plusieurs climats de guitare. Mais je devais d’abord reprendre cet instrument dont je m’étais éloignée parce qu’il avait fallu travailler la voix, comprendre le balafon, le ngoni, apprendre à faire des arrangements. Pendant tout ce temps, je n’avais pas joué de guitare. J’en voulais une avec un son assez blues, et j’ai trouvé la Gretsch avec laquelle j’ai commencé à composer. Et puis je me suis demandé ce que j’allais garder autour comme instruments. Je me suis mise à penser aux voix, à l’écriture pour rompre avec ce que j’avais fait. Je voulais des choses monotones, qui tournent et dont on finit par oublier la monotonie. J’ai écrit, déchiré, mis à la poubelle…
Vous avez d’abord essayé votre nouvelle formule sur scène avant d’aller en studio. Quelles étaient les réactions du public lors de cet avant-tour ?
Les spectateurs m’ont souvent dit qu’ils n’étaient pas surpris même si tout avait effectivement changé, qu’ils m’attendaient justement à cet endroit. On a l’impression que ce n’est pas grand chose mais il suffit de deux ou trois personnes qui viennent parler après les concerts et ça permet de trouver sa voie. Ça m’a fait penser que la guitare est mon premier instrument et que les premières chansons que j’ai composées ressemblent beaucoup à ce disque. Les trois albums précédents avec le ngoni, le balafon étaient quelque chose de totalement fabriqué et voulu. Ce que je fais aujourd’hui n’est pas moins naturel. Je ne m’en souvenais pas, et le public me l’a rappelé.
Quelle a été la principale difficulté que vous avez rencontrée dans la préparation de ce disque ?
C’est une chose de vouloir un son, c’en est une autre de l’obtenir. Ça nous a vraiment mis en retard de trouver quelqu’un qui était prêt à se mettre à mon service. Je commençais à me demander s’il n’allait pas falloir que je lâche un peu la laisse. J’avais une idée précise de ce que je voulais et je crois que ça faisait peur aux ingénieurs du son-producteurs que j’avais sollicités. Ils aiment bien faire ce qu’ils veulent avec la musique qu’apportent les musiciens, mais ce n’était pas mon intention. La plupart de ceux que j’ai rencontrés pensent aussi que les artistes africains vont à la catastrophe quand ils changent de projet pour se lancer dans une musique trop pop qui ne leur ressemble pas.
Pourquoi avoir confié ce rôle clé à Phil Brown, qui s’est entre autres, illustrés avec Bob Marley ou Talk Talk ?
Lorsque j’ai entendu son travail sur Out Of Season de Beth Gibbons, la chanteuse de Portishead (groupe britannique de trip hop, ndr), j’ai trouvé ça extraordinaire. Ça n’a pas grand chose à voir avec mon album en termes d’état d’esprit, de climat, mais j’aimais le traitement du son, la proximité de la voix, l’intimité… En mettant ce disque, j’avais l’impression que la contrebasse était jouée juste à côté de moi dans mon salon. Tout était traité de manière très souple et très arrondie. Un son pas trop propre, pas sec non plus.
Votre nouvelle formation est à l’image de ce virage puisqu’elle comprend désormais une batterie. Il y a aussi à vos côtés le guitariste Sibiri Koné avec lequel vos liens ne sont pas récents…
Dans les années 1990, c’est le premier musicien qui m’a accompagnée. J’avais démarré en chantant chez moi sur de la musique instrumentale enregistrée, mais je voulais m’habituer aux vrais instruments. Chaque dimanche, pendant toute l’année scolaire, on travaillait ensemble : il jouait et je chantais. Il a fait partie de nombreux groupes d’animation à Bamako et j’avais vu en lui une grande culture musicale. J’ai toujours su que je ferais un jour à nouveau appel à lui. Je ne planifie pas, mais avec le temps, je finis par réaliser mes idées.
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Rokia Traore Tchamantché (Universal Jazz/Universal) 2008
En tournée en France et en concert le 10 juin à Paris, à la Cigale.