<i>Le Rap aussi</i> à Conakry
De Julian Marley à Elie Kamano
Pour sa septième édition, le festival le Rap aussi qui se déroulait du 11 au 18 mai 2008 à Conakry, en Guinée, a voulu mélanger les genres. Profitant de la date symbolique du 11 mai, date anniversaire de la mort de Bob Marley, les organisateurs ont rendu un hommage tout particulier au père du reggae. En tête d'affiche, son fils Julian Marley ainsi que de nombreux artistes des mouvements rap et reggae...
"Vive la liberté ! Vive la Guinée libre et prospère". Voici quelques mots du groupe Les Prisonniers qui résonnaient particulièrement dans le stade du 28 septembre de Conakry, à moitié vide.Un stade plus habitué aux matchs de foot et aux meetings politiques qu'à recevoir - non sans quelques craintes de débordements - toute la fine fleur de la contestation conakrienne.
Dès l'ouverture du festival Le Rap aussi, le ton était donné, le chanteur reggae Mak Soul allant même jusqu'à demander "la démission du président", au vu et au su des dizaines de policiers disséminés ici et là dans les gradins, matraque à la main. "Le mouvement hip hop, ce n'est pas que de la musique, c'est d'abord un message, une volonté de changer les choses", résumait Fatou réunie avec plusieurs de ses copines autour d'un groupe de danseur de break : Les frimeurs.
Sur scène, les formations se suivaient sans se ressembler, bien que très inspirées par le son reggae. Parmi elles, Elie Kamano et les Santigui, emmené par un chanteur très engagé, que certains comparent déjà à son mentor, l'Ivoirien Tiken Jah Fakoly. "Je viens du rap et c'est en rencontrant Tiken Jah que je suis passé au reggae. Mais dans ma tête, je fais la même chose. Dans ma musique, il y a un mélange des deux, comme je mélange ma culture de forestier (du sud est de la Guinée) avec des influences occidentales, tout cela n'a pas d'importance. Ce qui en a, c'est le message que je veux faire passer et de ce côté-là, je ne suis pas tendre avec les politiciens en général".
Un festival hybride en quelque sorte, une idée originale bien que déconcertante à mettre au profit de son charismatique organisateur Malick Kebé, à l'origine déjà de biens des surprises dans la scène hip hop guinéenne et patron du label Contacts évolutions. "Le rap aussi est un festival sur les musiques urbaines dans leur ensemble, explique Malick Kebe. Depuis un certain temps, on remarque que le reggae prend de la force en Guinée à travers des artistes comme Takana Zion, Elie Kamano, Abdoul Jabbar. Donc on s'est dit que cette année on allait faire une virgule au reggae. Car le rap et le reggae ont les mêmes objectifs : lutter contre l'oppression, contre l'inégalité, prôner la paix, tous les faits et méfaits de la société..."
Parmi les groupes remarqués, il y avait le reggaeman Mak Soul, et le très étonnant duo de rap, Sèmbèdèkè (meilleur groupe 2005 en Guinée), assez classique dans son genre, mais prometteur grâce au talent inouï d'un des deux chanteurs, Deni Moba, à peine âgé de 10 ans. "C'est le fils de celui qui m'accompagnait autrefois. Quand son papa est mort, je l'ai écouté chanter et je me suis dit qu'il était son digne héritier" raconte Salif.
Un festival prometteur certes, mais au succès plus que mitigé, les organisateurs ayant même annulé le concert de Tiken Jah Fakoly en raison d'une trop mauvaise affluence. "D'habitude, le stade est plein à craquer", se lamentait Abdoulaye Mbaye, le rappeur du groupe Degg-J-Force 3, "Les jeunes adorent le rap ici, mais cette année, la crise se ressent. Les gens ont à peine de quoi manger et encore moins les moyens de se payer un billet à 10 ou 15000 francs guinéens (ndlr : 2euros)... Notre avenir, c'est à nous de le construire. Il ne faut rien attendre des politiques, et ce n'est pas en se croisant les bras que les choses se feront".
Qu'à cela ne tienne, effectivement, en Guinée, on apprend à faire sans moyens. Aux derniers jours du festival, Les organisateurs ont eu l'idée "système D", de monter une scène plus petite et gratuite devant les portes fermées du stade du 28 septembre, afin que se termine dans la joie, un festival de rap qui a le mérite de vouloir résister à la morosité.
François-Xavier Freland