Wasis Diop, chercheur d’absolu
Chercheur en sciences poétiques, cinéaste musical, Wasis Diop livre avec Judu Bek une chronique de l’humanité hors du temps, où sa voix se fait omniprésente ou lointaine, toujours profonde. Plongée intimiste dans l’univers de l’artiste sénégalais contemporain le plus atypique.
Judu Bek, album hors normes
Chercheur en sciences poétiques, cinéaste musical, Wasis Diop livre avec Judu Bek une chronique de l’humanité hors du temps, où sa voix se fait omniprésente ou lointaine, toujours profonde. Plongée intimiste dans l’univers de l’artiste sénégalais contemporain le plus atypique.
RFI Musique : Pouvez-vous me décrire la pochette de Judu Bek ?
Wasis Diop : Il faut remonter dans le temps, dans des écoles qui n’existent plus ; et dans la géographie, puisqu’on est au Sénégal…Il paraît que je suis dessus, mais je n’arrive pas à me reconnaître… J’identifie seulement mon cousin germain sur la photo. Je finis par croire que je ne suis pas dans le cadre…
Déjà hors cadre ?
Les Sénégalais me définissent comme cela, ils sont très contents d’ailleurs. En fait, je suis un peu un extraterrestre, même pour moi-même. Je ne dis jamais que je suis chanteur, mais que j’utilise ma voix. Les griots sont des chanteurs naturels, qui ont commencé tout petit. Ce n’est pas mon cas. Je suis donc complètement libre. Je suis un chanteur sénégalais contemporain. Mes compatriotes savent que j’ai créé un pan de la musique du Sénégal qui n’existait pas, mais qui part des fondations du chant sénégalais. Quand j’étais petit, j’aimais ne pas dormir pour entendre les chants nocturnes des hommes. Pour composer, je ne pars d’aucun folklore, mais d’un feeling tout à fait personnel, forcément influencé par beaucoup de choses. Evidemment, par mon enfance et les voix nocturnes dont je parlais tout à l’heure qui sont le fondement même de cette chose que je porte. Mais aussi par mes escapades et mes rencontres dans toutes les villes du monde… Mais je suis un Sénégalais, j’essaie donc d’avoir une dimension sur le plan du timbre, de la profondeur, du message, qui reflète cette identité. Je chante d’ailleurs en wolof (ndlr : la langue la plus parlée dans son pays) et les contours mélodiques de ma musique viennent aussi de la langue...
Pourtant, au niveau des mélodies Judu Bek est complètement ouvert aux quatre vents du monde…
Je suis un homme universel. J’aime la ville, j’aime les gens, j’aime l’authenticité, mais pas vraiment les mélanges, c’est pour cela que je n’aime pas la world music. Un artiste doit pouvoir faire cadeau de ce qu’il est, de sa géographie. Librement.
Si on devait figer une image de votre enfance sur papier glacé, quelle serait-elle ?
Quand je pense à l’enfance, je pense aux moments où j’étais seul, tellement loin de la maison que les bruissements de la civilisation avaient disparu. Et alors tout à coup, sous le soleil au zénith, j’entendais un sifflement. Un son vertical, venant du ciel ou venant de l’horizon, venant de dix directions. Un halo sonore finalement. C’est tellement vrai que je l’entends encore… Si présent, alors que rien qu’on ne connaissait ne pouvait porter cette sonorité. C’était peut-être le son de l’univers, qu’on ne peut entendre que lorsqu’il y a le silence total autour de nous.
C’est un souvenir sonore, donc…Vous avez composé beaucoup de musiques de films, le besoin d’images vous est-il nécessaire pour composer ?
Chaque chanson que je fais c’est une musique dont le film n’existe pas. J’ai l’impression que toutes ces musiques sont des films imaginaires. D’ailleurs les textes que j’écris sont toujours assez évasifs, pas dans l’imagination non plus car je suis dans le concret, mais dans la réalité poétique. Je suis à la quête de la chose sublime. Tellement complète qu’elle répondrait à toutes mes questions. Et à la première : pourquoi vit-on ?
Comment avez-vous construit cet album ?
J’ai pris mon temps et ai suivi mon feeling. Il y a toujours dans un album des débris de choses qui s’organisent on ne sait pas trop comment…Ainsi, dans Judu Bek, certaines chansons sont anciennes, d’autres complètement nouvelles. Par exemple, j’ai composé Anna Mou en 2007. A Bamako, j’ai rencontré une prostituée qui est devenue une copine car elle habitait à côté de mon hôtel. Elle vendait son corps pour survivre. Je raconte un peu son histoire et celles des femmes qui n’ont pas vraiment d’endroits où emmener leurs clients. Elles vont donc dans les champs de mil, et y jouent le jeu à "mil" francs… Jiné Ji parle du démon qui est en chacun, mais que nous protégeons toujours, comme si nous en avions besoin. C’est une reprise d’une chanson de mon concitoyen El Hadj Ndiaye. J’ai composé So Lala il y a quatre ans, c’est le fruit d’un rêve, que j’ai eu un mal fou à mettre en musique. Automobile Mobile est une fantaisie très sérieuse sur la folie des hommes, la consommation.
Comment expliquer que dans la famille Diop, Wasis soit devenu musicien et que son frère Djibril Diop Mambety, un cinéaste prestigieux… ?
On a été élevé dans un rapport au chamanisme, aux parents, à l’invisible, à la nature et à la vie. Djibril disait que nous étions des jumeaux. C’est pour cela que je lui ai rendu hommage sur le morceau l’Ange Djibril dans une adaptation d’Hallelujah de Léonard Cohen. C’est comme si nous étions nés dans le même œuf, malgré le décalage, lui étant né plusieurs années avant moi. Je crois que j’ai accepté de naître parce qu’il y avait quelqu’un qui m’attendait. Enfant, il était fasciné par les choses qu’il voyait, il avait une vraie ouverture d’esprit, un positionnement, comme s’il devait déjà avoir des sujets de films. Lui était déjà un intellectuel, moi j’étais déjà un mystique.
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Wasis Diop Judu Bek (Think Zink !/Pias) 2008
En concert le 27 octobre 2008 à La Cigale à Paris
A écouter sur RFI le 31 mai 2008 : Sortir dans le monde par Daniel Lieuze (Samedi : FM Paris 01h40, 8h40 et 19h40 – Afrique : 23h10)