La reconversion réussie d’Etienne Mbappé

Si la basse est son instrument de prédilection avec lequel il a bâti sa réputation de jazzman, Etienne Mbappé a voulu justement que son deuxième album solo, Su La Také, ne soit ni un disque de jazz, ni un disque de bassiste. Un créneau qui permet au musicien camerounais, vu et entendu aux côtés d’un nombre impressionnant d’artistes, d’exploiter davantage sa culture et ses préoccupations d’Africain.

Nouvel album du bassiste camerounais

Si la basse est son instrument de prédilection avec lequel il a bâti sa réputation de jazzman, Etienne Mbappé a voulu justement que son deuxième album solo, Su La Také, ne soit ni un disque de jazz, ni un disque de bassiste. Un créneau qui permet au musicien camerounais, vu et entendu aux côtés d’un nombre impressionnant d’artistes, d’exploiter davantage sa culture et ses préoccupations d’Africain.

Son agenda est aussi chargé que son CV est rempli. Dans les mois à venir, Etienne Mbappé se produira à près de quarante reprises dans une dizaine de pays, de la Norvège au Tchad, de la Croatie à l’Espagne, avec quelques escales en France. Le bassiste camerounais expérimente à sa façon la théorie du mouvement perpétuel depuis plus de deux décennies. Longtemps, ce fut comme sideman, au service de vedettes françaises ou africaines telles que Michel Jonasz, Jacques Higelin, Salif Keïta, Touré Kunda... Ce qui ne l’empêchait pas de penser en permanence aux histoires musicales qu’il avait envie de raconter en son nom. Il attendait simplement le bon moment.

Etre prêt à "passer de l’autre côté" : écrire, composer, chanter, monter son groupe. Accepter aussi de quitter une situation assez confortable pour une autre beaucoup plus incertaine. Le déclic a lieu en plein milieu d’une tournée avec Joe Zawinul. Ce soir-là, au Blue Note à New York, il sait qu’il fait son dernier concert avec le célèbre jazzman. Le besoin de mener à terme son projet personnel est devenu une urgence. Le temps de l’apprentissage est fini. "Quand je jouais derrière des stars de variété française qui remplissaient les Zénith, je prenais beaucoup de plaisir à voir comment ils géraient la scène, qui faisait quoi. J’ai accumulé des données qui m’ont servi par la suite."

Second album solo

Son premier disque Misiya, paru en 2004 et récompensé par le prix Talent Adami, l’a conforté dans sa démarche qu’il poursuit aujourd’hui avec Su La Také, même s’il ajoute qu’"il faut avoir la foi pour retourner au charbon". Etienne est un homme de scène et ses albums en portent forcément la trace. En concert, il aime transformer ses anciens morceaux, les faire vivre. En essayer aussi de nouveaux, avant d’aller en studio, "un monde complètement différent où ce qu’on joue à un instant donné, en fonction de son humeur, va devenir une sorte de nature morte sur laquelle on ne peut plus revenir."

A lui de savoir conserver dans ce "laboratoire" l’état d’esprit spontané qu’il a en public, tout en s’adaptant aux contraintes dictées par l’industrie musicale : "Je dois parfois jongler avec les structures des morceaux pour aller rapidement à l’essentiel et ne pas faire un titre de dix minutes que personne ne voudra passer en radio." Parfois, c’est au moment de démarrer l’ultime séance qu’il trouve la dernière pièce du puzzle. "Les chansons sont capricieuses", constate le bassiste.

Dans son processus de création, la musique vient en premier, inspirée par ses voyages, ses rencontres avec des instruments qu’il rapporte chaque fois chez lui – au grand désespoir de son épouse ! Le musicien peut enfin exprimer davantage ses racines camerounaises depuis qu’il s’est mis à son compte. Il y a un vingt ans, avec ses complices Ultramarine devenu un groupe phare de la scène jazz world, il avait déjà saisi l’occasion de mettre en valeur sa culture d’Afrique centrale.

Ce qu’il fait aujourd’hui se situe à ses yeux "dans la continuité. En moins jazz et avec des textes plus touffus". A 44 ans, il dit vouloir "prendre part au débat d’idées africain" avec ses chansons, à l’image d’Aye (Yen’Etomi) qui évoque la dette financière des Etats du continent. "Si je suis musicien aujourd’hui, c’est à ce terroir que je le dois", affirme-t-il. Aujourd’hui, il se rend au moins deux fois par an dans son pays de naissance qu’il a quitté à 14 ans.

Un parfum de nostalgie

L’Afrique lui a souvent manqué après qu’il se soit installé en France avec sa famille. Un parfum de nostalgie se met à flotter dès qu’il évoque son enfance et les souvenirs remontent pêle-mêle à la surface : le village de son père auquel il a consacré la chanson Bonendale, les danses en cercle avec ses sœurs derrière la cour en fin de journée. Et puis les concerts du turbulent voisin nigérian Fela ou celui de James Brown, sous la pluie dans un stade plein à craquer. Les deux premiers chocs musicaux du jeune Etienne qui commence à cette époque à gratter les cordes de la petite guitare sèche qu’on se repasse dans son quartier.

Quelques années après, le collégien expatrié prend la basse dans le groupe monté avec ses copains d’école. Intuitivement, il a en tête le son qu’il doit jouer sur son instrument, un modèle à 300 francs acheté par son père. Sans doute est-ce parce qu’il s’est nourri du jeu de ses brillants compatriotes qui ont fait depuis longtemps la réputation des bassistes camerounais. Jean Dikoto Mandengue, dit "Jeannot Karl", Vicky Edimo, Aladji Touré sont un peu des pères fondateurs pour la génération des Mbappé, Bona, Nsangué, Ekwabi... L’histoire se perpétue : à son tour, Etienne Mbappé fait figure de modèle pour de nombreux jeunes musiciens. Ce statut n’a en rien affecté sa capacité à s’enthousiasmer lorsqu’on lui propose d’accompagner une de ses idoles, comme ce fut le cas avec Ray Charles en 2004. Un moment aussi inoubliable que gratifiant : "Ça fait du bien à l’âme de croiser ces artistes qui m’ont fait rêver."

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Etienne Mbappé Su La také (O+/EMI) 2008
En concert le 5 juin au New Morning (Paris) et le 27 juillet au Parc de la Villette (Paris)