Les Frères Guissé gardent l’espoir

Dans ce premier album international, Yakaar, les Frères Guissé ont choisi d’explorer divers rythmes peuls mais se penchent aussi sur les musiques zouloue et mandingue. Rencontre.

RFI Musique : Yakaar est votre premier album international. Comment expliquez-vous qu’il vous ait fallu autant d’années pour percer sur la scène internationale ?
Djiby Guissé
 : Nous avons toujours voulu faire les choses par nous-mêmes et ça demande beaucoup de temps. Safoul Productions nous a présenté Christian Olivier du label Monslip (et chanteur du groupe Les Têtes Raides : ndlr) et le mixage de l’album a été fait par Jean Lamoot qui a mixé le dernier album de Salif Keïta. Quand on a écouté l’album terminé, nous étions bluffés.

Votre album a une coloration peule mais vos guitares sonnent également mandingue, songhaï ? 
Nous transposons à la guitare les techniques du hodou, un luth peul à trois cordes. On joue en gammes pentatoniques avec beaucoup de triplés. On joue en arpège mais avec pas plus de deux notes à la fois. L’instrument suit la voix, c’est la voix de la voix, en quelque sorte. Nous utilisons plusieurs styles du Fouta comme le pekkan, genre épique des pêcheurs soubalbé, le goumbala, chant incantatoire des chasseurs ceddo, le dilléré, genre déclamatoire des tisserands maboubé, le yela, l’hymne des griots awlou, le rippo chanté le soir au clair de lune par les jeunes. Mais nous avons des liens avec l’ensemble du mandingue. Nous nous sentons proches d’Oumou Sangaré aux accents wassoulou, par exemple. A l’origine, le Wassoulou était peuplé de Peuls puis a été dominé par les rois mandingues qui leur ont interdit de parler peul. Les Peuls se sont mis à chanter en bambara mais les harmonies restaient peules. Nous avons également donné dans le titre a capella Mi dani des colorations zouloues car nous sommes fascinés par leurs polyphonies. Il n’y pas de polyphonies au Sénégal, à part dans certains styles sérères comme le Sine.

Qui compose ?
Nous composons tous et nous faisons les arrangements ensemble en studio. CC le feu est une composition de Cheikh et j’ai fait les arrangements. Moi, j’ai composé Laram, un blues sahélien.

Le titre de l’album est Yakaar (l’espoir). Pourquoi ce titre ?
L’important dans cet album, c’est le message, Yakaar, garder l’espoir. Nous voulions dire au monde que celui qui a faim, qui tend la main n’est pas forcément un paresseux. Dans le titre CC le feu, on parle de la guerre et des gens très puissants qui les programment. On ne fabrique pas d’armes en Afrique donc elles viennent bien de quelque part.

Hormis les messages de leurs chansons, les artistes peuvent-ils jouer un rôle dans l’avenir du continent ?
Depuis 2003, nous sommes impliqués dans le projet Solid’Art avec l’Université. On donne des concerts dont les recettes permettent d’acheter des tickets restaurant aux étudiants des régions qui ont des problèmes de survie et de financer des étudiants en médecine qui vont porter des médicaments et donner des soins dans les villages. Nous avons également initié un festival, Sénégal Folk, dont les recettes vont servir au quartier de Hann où nous avons grandi. Il possédait une des plus belles plages de Dakar et un parc zoologique. Maintenant, la plage est polluée et le parc a du mal à survivre.

Cette aide aux étudiants s’explique-t-elle par le fait que votre espace culturel, Planète Café, se trouvait juste en face de l’université Cheikh Anta Diop ?
Oui, ce lieu qui a été fermé en 2004 était un lieu de musique mais aussi d’échanges, de débats. Il accueillait beaucoup de professeurs qui nous ont aidés à monter ce projet.

Un jeune groupe, Waflash, a monté récemment à Thiès un lieu similaire. Que pensez-vous de cette initiative ?
Nous les soutenons et sommes d’ailleurs aller jouer dans ce lieu, le Palais des Arts. C’est une très bonne chose de monter de tels lieux en dehors de Dakar car tout est concentré dans la capitale.

 

Aujourd’hui, on observe le développement d’une scène folk avec El Hadji Ndiaye, Pap et Cheikh, etc. Comment l’expliquez-vous ?
Le mouvement folk existe depuis une quinzaine d’années avec des artistes comme Ismaël Lô et bien sûr Seydina Wade qui fut un pionnier dans les années 1960/70. Beaucoup de nos artistes, Youssou N'Dour, Omar Pène, Baaba Maal, évoluent aujourd’hui vers l’acoustique. Face aux difficultés, le public a besoin d’artistes qui lui parlent et pas seulement qui le fassent danser. Les rappeurs en cela ont été avant-gardistes.

Justement, les rappeurs ont rompu avec le "masla" (l’art du compromis), pensez vous que c’est une bonne chose pour le Sénégal ?
Le "masla" fait partie de la culture sénégalaise. Aller trop loin, ce n’est pas bon. C’est dangereux. Et si ça va trop loin, ça ne joue plus son rôle. Nous ne sommes pas des Occidentaux. Moi, je préfère le "sutura" (voiler la parole), dire la vérité mais y mettre les formes.

Quelle est aujourd’hui la situation des artistes au Sénégal ?
On vient de voter un projet de loi pour assainir la situation des droits d’auteur car beaucoup de radios et de télévisions ne payaient pas les droits. Le bureau des droits d’auteur va devenir une société civile qui sera gérée par des gens nommés par les ayants droits et une police anti-piraterie va être mise en place.

Quels sont vos projets aujourd’hui ?
Actuellement, nous montons un projet pour former les jeunes défavorisés aux métiers de la musique car nous voulons qu’ils aient leur chance. Nous aspirons à plus d’égalité. Nous sommes à la recherche de partenaires.Ecoutez un extrait de

Les frères Guissé Yakaar (Monslip/Distribution Warner) 2008
En concert : les 18 et 19 Juillet à l’entrepôt – Paris 14e