Retour éclair des Thugs
Concert exceptionnel à Seattle
C’était à la fin des années 80, une époque où le rock était complètement ringard en France. Parmi les derniers irréductibles : les Thugs, groupe d’Angers, quasi inconnu du grand public et pourtant signé sur le prestigieux label américain Sub Pop, celui qui lança le grunge et Nirvana.
En 1999, après 16 ans d’existence, le quatuor se sépare, fier de ne plus rien faire. Exceptionnellement, il reprend du service pour fêter le vingtième anniversaire de sa mythique maison de disque. Les Thugs jouent ce 13 juillet à Seattle, point d’orgue d’une mini-tournée qui a laissé aphone, le 14 juin dernier, le public du festival Maroq’n’roll à Paris.
Dans la salle, ça parle du bon vieux temps, de Nirvana et d’Alice In Chains. Le public affiche une quarantaine bien sonnée mais a mis, ce soir, la nostalgie au placard. Dès le deuxième titre des Thugs, un pogo monumental s’empare des premiers rangs de la salle de la Maroquinerie. Il ne faiblira pas deux heures durant. Sur scène, les quatre musiciens proposent une prestation intense, sans fioriture. Assis derrière une batterie famélique, Christophe Sourice, martèle ses fûts comme un damné. Son frère, Pierre-Yves, à la basse, sautille sans discontinuer, les yeux ailleurs. Thierry Méanard et Eric Sourice, dernier membre de la fratrie, s’appliquent à bétonner un mur de guitare dévastateur. Rugueux, électrique, mélodique, à l’image de leur répertoire, simple et immédiatement addictif.
Formés en 1983 à Angers, les Thugs marièrent comme personne la furie du hardcore à la finesse de la pop. Emissions spécialisées sur radios locales, disquaires indépendants, fanzines photocopiés, le groupe évoluait dans un cercle de passionnés. S’il séduisit les dirigeants du label Sub Pop aux Etats-Unis, il ne parvint jamais à retenir l’attention du grand public en France. Après seize ans de carrière et huit albums, les Thugs tirèrent leur révérence.
Aujourd’hui, le quatuor est éclaté entre Angers, la région parisienne et la Bretagne. Une constante tout de même, ils ont tous soigneusement laissé leurs instruments prendre la poussière. Christophe, employé communal, a même complètement arrêté la musique. Depuis neuf ans, toutes les demandes de reformation sont poliment déclinées. Aucun ne songe sérieusement à remonter sur scène. Il faudra toute la conviction de Sub Pop pour bouleverser la donne. Le label fête ses vingt ans avec un concert exceptionnel à Seattle. Les Américains renouvellent les invitations du genre : "ça nous ferait tellement plaisir que les Thugs viennent souffler les bougies avec nous." L’occasion est trop belle, Eric, premier converti, fini par convaincre ses comparses. Le groupe reprend du service mais en contrat à durée déterminée. Une fois le 13 juillet passé, chacun retournera à ses activités. Histoire de ne pas léser leurs fans français, les Thugs s’offrent une poignée de dates, à guichets fermés, dans l’Hexagone.
Toute émotion contenue
Face à une salle de la Maroquinerie complète et un public conquis, les Thugs auraient donc pu se contenter du minimum syndical. Il n’en est rien. Le groupe envoie une prestation physique. On mesure alors toute sa force. Après tant d’années d’inactivité, les quatre musiciens ont retrouvé leur cohésion, leur instinct. Leurs titres n’ont pas pris une ride. Les Angevins offrent un set éprouvant d’efficacité, sans même se regarder, comme si chacun savourait au mieux ce moment rare. Fidèle à leur réputation, les Thugs joue la sobriété. A la fin de leur deuxième rappel, ils quittent définitivement la scène sur de simples "merci", toute émotion contenue. Il ne s’agit pas d’une commémoration historique mais bien d’un concert.
Ludovic Basque