Deux regards sur Léo Ferré
La parution de deux nouveaux ouvrages accompagne le quinzième anniversaire de la disparition de Léo Ferré : une biographie amicale de Jean-Eric Perrin et la réédition du récit de son compagnon de route Maurice Frot.
Il y a 15 ans, le chanteur disparaissait
La parution de deux nouveaux ouvrages accompagne le quinzième anniversaire de la disparition de Léo Ferré : une biographie amicale de Jean-Eric Perrin et la réédition du récit de son compagnon de route Maurice Frot.
Comment écrire une biographie après le travail phénoménal de Robert Belleret (Léo Ferré, une vie d’artiste, Actes Sud) paru il y a neuf ans ? Jean-Eric Perrin, qui a écrit sur Madonna, le disco ou Doc Gynéco, a tenté de raconter vie et œuvre du grand poète et chanteur libertaire dans un ouvrage de taille "normale", Léo Ferré, poète et rebelle. Et il a réussi un livre à la fois précis et vif, fouillé et accessible.
Puisant largement dans les écrits autobiographiques de Léo Ferré (dont on sait à quel point ils sont riches, abondants et féconds !) comme dans ses déclarations à la presse ou aux médias audiovisuels, il trace le portrait d’un artiste – et d’une conscience – dans son temps. Peut-être plus encore que sur les tourments, les soleils ou les orages intérieurs de Ferré, Perrin l’étudie toujours dans son rapport au monde. Aussi les défis de plus de quarante ans de carrière deviennent-ils des outils pour aborder notre complexe époque, et Léo Ferré, poète et rebelle apparaît-il comme une vision très contemporaine d’une trajectoire humaine et artistique déjà entrée dans l’histoire. Un décryptage utile pour des générations qui ne sont pas forcément totalement enracinées dans le jeune âge de leurs aînés.
Régisseur, éclairagiste, secrétaire, dessinateur de Léo Ferré, Maurice Frot fut aussi son ami, son frère, son compagnon de galères et de bonheurs. Son récit, Léo Ferré, comme si j’vous disais (paru une première fois en 2001 sous le titre Je n’suis pas Léo Ferré), n’est pas du tout le livre d’un témoin mettant au propre quelques souvenirs pittoresques : Frot est un écrivain, un écrivain à la plume volontiers faubourienne, à la fois ivre de Rimbaud et chargée des images musquées comme la langue des rues. Lui aussi est un poète libertaire, mais un homme engagé dans une vie que contrarient parfois les éthers et les volutes dont s’enivre Ferré. Ainsi, on rit beaucoup en lisant ses pages sur le désastre de tendresse du château de Perdrigal, lorsque Léo et Madeleine Ferré vivent entourés de chimpanzés, d’un cochon, de dizaines de chats et de chiens, de dizaines d’animaux de ferme… Frot raconte cette vie avec un mélange de rudesse plébéienne et de fraternité indéfectible, sans la moindre indulgence pour l’isolement dans lequel s’enfoncent peu à peu le chanteur et son épouse – un pur moment de littérature, mi-Céline, mi-Simonin.
Il raconte le Ferré qui tout au long des années 60-70 se battit sans trêve pour sa liberté, le Ferré qui rompt les amarres avec autant de passion qu’il étreint l’ami nouveau, le Ferré qui court de la nuit du piano solitaire à la lumière aveuglante des projecteurs… Son livre est un livre de routes, de coulisses, de dîners, de marches entre copains sur d’improbables plages ou dans d’obscures avenues, un livre de vie, d’art et d’amour. Témoignage d’amitié, donc, mais aussi source de premier plan qui met à mal beaucoup de légendes et révèle des vérités plus belles que des mythes.
Jean-Eric Perrin Léo Ferré, poète et rebelle (Editions Alphée-Jean-Paul Bertrand, 256 pages, 19,90 €)
Maurice Frot Léo Ferré, comme si j’vous disais (Editions de L’Archipel, 264 pages, 18,95 €)