<i>Les Liens sacrés</i> des Neg’Marrons
Sur la scène reggae française, les Neg’Marrons occupent une place singulière héritée des stéréotypes qui continuent à coller aux artistes venus des banlieues, forcément tous rappeurs. Treize ans après avoir été révélé par la chanson La Monnaie qui figurait sur la bande originale du film Raï, le duo formé par Jacky et Ben-J publie son quatrième album intitulé Les Liens Sacrés.
Reggae authentique pour duo iconoclaste
Sur la scène reggae française, les Neg’Marrons occupent une place singulière héritée des stéréotypes qui continuent à coller aux artistes venus des banlieues, forcément tous rappeurs. Treize ans après avoir été révélé par la chanson La Monnaie qui figurait sur la bande originale du film Raï, le duo formé par Jacky et Ben-J publie son quatrième album intitulé Les Liens Sacrés.
RFI Musique : Vous êtes souvent présentés comme un groupe de rap alors que votre répertoire est très reggae. Pourquoi cette confusion ?
Ben-J : A la base, nous sommes issus du Secteur Ä, un collectif à majorité hip hop avec différents artistes : Stomy, Passy, Ärsenik... Du coup, les gens ont toujours fait l’amalgame. Mais si on se réfère à nos disques, on a toujours été un groupe de reggae. Le premier album, on l’a enregistré avec le Ruff Cut band, des musiciens jamaïcains vivant à Londres. C’était un album 100% reggae. Le second a été réalisé par Tyrone Downie, l’ancien clavier des Wailers. Et le troisième, on l’a fait en Jamaïque avec Sly & Robbie. On a tout pour être des artistes reggae complets sauf qu’en termes d’image, on a toujours eu involontairement une communication axée sur le hip hop.
acky : Beaucoup de gens pensent que Le Bilan, l’un de nos plus gros tubes, est un morceau de rap, alors que c’est un standard du reggae (Truth & Rights de Johnny Osbourne, ndr) !
Qu’est-ce qui vous a entrainé vers le reggae plutôt que vers le rap ?
Ben-J : On est entré dans cette musique par le biais de nos parents, de nos grands frères qui écoutaient Bob Marley, Burning Spear, Steel Pulse... Cette musique nous a bercés. Au début des années 90, on a beaucoup fréquenté les sound systems. A partir de ce moment-là, on vivait à 100% à travers le reggae dancehall. C’est une musique qu’on ressent parce qu’elle a un message social et urbain, et elle est en même temps mélodieuse.
Jacky : Des artistes français comme Tonton David nous ont aussi marqués. Son album Le blues des racailles, on l’a "saigné", on l’a écouté en boucle. A Garges, les gens autour de nous écoutaient plutôt du rap et d’ailleurs, notre façon d’écrire au début était influencé par le rap. Lentement mais sûrement, on a glissé vers le reggae.
Fonctionner en duo, est-ce plus simple pour vous qu’en solo ou à trois ?
Jacky : Sur le premier album Rue Case Nègres, on a essayé de faire un ménage à trois avec Djamatik mais ça n’a pas marché. On ne l’a pas chassé, il est parti de lui-même. Le cœur de Neg’Marrons, ça a toujours été Jacky et Ben-J. Entre nous, il y a une certaine alchimie. On forme un vrai binôme, dans la musique comme dans la vie. C’est ce qui fait notre force et notre originalité. Jacky et Ben-J, ce sont deux personnes mais ça sonne aussi comme un nom composé. Deux en un.
Ben-J : Ça fait un peu plus de vingt ans qu’on se connaît. On a grandi dans le même quartier, la rue Case Nègres à Garges/Sarcelles. Le titre de l’album, Les Liens sacrés, fait référence à notre histoire parce qu’aujourd’hui, si on est encore là, c’est plus une affaire d’amitié que de musique.
Sur quelles bases avez-vous commencé à préparer ce nouvel album ?
Ben-J : Ça part d’une discussion entre Jacky et moi. On évoque certains points qu’on aimerait bien développer dans l’album, on tombe d’accord sur les grandes lignes. Ensuite, on sollicite les compositeurs avec lesquels on a l’habitude de travailler et ils nous font écouter plein de musiques. Dès qu’un son nous parle vraiment, on cherche une idée de refrain, une mélodie et la plume démarre. Ça peut refléter l’humeur à un moment donné, comme dans Il y a des jours, le quotidien de tout jeune, banlieusard peut-être, originaire d’Afrique et vivant en France. Avec un peu plus de maturité qu’avant, parce qu’on n’a plus vingt ans...
Jacky : Le plus dur, ce n’est pas de faire un album, mais de faire un album cohérent qui a un sens, un début, un milieu, une fin. Et pas de faire une compilation. C’est tout un assemblage.
Pourquoi êtes-vous retournés à Kingston pour enregistrer ? Que trouvez-vous auprès des musiciens jamaïcains que ne peuvent vous donner les musiciens français expérimentés avec lesquels vous jouez sur scène ?
Jacky : Le vrai reggae, à mon sens, il se trouve en Jamaïque. C’est quand tu vas là-bas que tu le comprends. Notre premier voyage en Jamaïque nous a vraiment marqués. Dès que tu arrives à l’aéroport, les gens écoutent du reggae. Tu prends le taxi, il y a du reggae. Dans les rues, il y a partout des caissons de basse. Dès l’enfance, les jeunes baignent dans le reggae donc ils ont une science qu’on ne pourra jamais avoir même en travaillant dur. Le reggae de Jamaïque a un autre son, une autre vibration, une autre rondeur. Tout simplement parce que c’est leur musique. Ça leur appartient. On peut leur ressembler mais pas les égaler. Les Polonais ne pourront jamais faire du zouk mieux que les Antillais !
Petites îles, en trio avec Cesaria Evora, est une adaptation reggae de sa chanson Petit Pays. Comment vous est venue l’idée ?
Jacky : Cesaria Evora, c’est une dame que j’ai rencontrée à plusieurs reprises. Avec le collectif La MC Malcriado – le Bisso Na Bisso à la capverdienne – , on a même fait sa première partie au Zénith. On voulait lui rendre hommage sur une chanson. On a repris sa voix sur un des seuls passages où elle chante en français dans toute sa discographie et on en a fait un remix. Elle a beaucoup apprécié le style quand on lui a fait écouter, et ensuite on a commencé à écrire. Je parle de nos racines, de Cap Vert… C’est un honneur qu’elle ait accepté de faire ce titre avec nous, de faire aussi un très beau clip tourné au Cap Vert et qui donne envie de s’évader. Parce que la musique doit également servir à ça. Petites Îles, c’est un morceau qui te fait voyager sans que tu aies à payer un billet d’avion à cinq cents ou mille euros. Tu achètes un CD à vingt euros et tu te laisses transporter.
Ecoutez un extrait de
Neg' Marrons Les Liens sacrés (Because music) 2008