De Tadoussac à Saint-Malo
Transat en chansons
Du 21 au 23 août, l’Office franco-québécois pour la jeunesse (OFQJ) a organisé, en partenariat avec la ville bretonne de Saint-Malo et le festival de la chanson de Tadoussac, la deuxième édition du festival De Tadoussac à Saint-Malo. L’occasion de découvrir quatre jeunes talents charismatiques de la chanson francophone au Québec : Philémon chante, Bruno Marcil, Gaële et Jipé Dalpé. Quatre univers, quatre couleurs, qui incarnent la relève d’une scène prolixe.
Les accents de la Belle Province roulent dans les galettes bretonnes, se noient dans les embruns, s’emmêlent aux cidres savoureux, aux mouettes crieuses et au sel des caramels.
Cinq jours durant, une colonie de Québécois a investi ce joyau portuaire, à flanc de mer, propice aux dérives voyageuses : la ville fortifiée de Saint-Malo, au Nord-Ouest de la France.
Fort d’une amitié solide tissée depuis vingt ans avec la cité bretonne, le dynamique Office franco-québécois pour la jeunesse (OFQJ) présente, en partenariat avec le Festival de la chanson de Tadoussac et la commune malouine, la deuxième édition de l’événement De Tadoussac à Saint-Malo. Quatre jeunes auteurs-compositeurs bénéficient dans l’enceinte maritime d’une mini-résidence, une relecture de leurs œuvres par deux directeurs artistiques – le Malouin Dominique Le Bozec et le Québécois Pierre Verville – ponctuée de trois concerts au Théâtre Chateaubriand.
Le rideau s’ouvre sur la coquette salle rouge, avec Philémon chante ; un phénomène. A l’étrange sonorité de son prénom, répond une silhouette gracile et élégante, un air particulier de dandy anachronique. Un regard doux, traversé d’inquiétudes fugaces, s’accorde aux modulations d’une voix fragile, aiguë, mais déterminée. Philémon chante l’amour. Celui pour sa grand-mère ou un ami, celui pour ses "blondes" (ses petites amies, ndlr), présentes et passées, que l’on se surprend à envier : des textes sensibles, romantiques, servis par une musique intimiste, où vibre une rage sourde, quand les pieds battent la mesure. Les chansons de Philémon, le cœur ouvert et les mains libres, caressent ou égratignent, remuent l’adolescence délaissée, affirment leurs hésitations, et un jeu de guitare insolite. A vingt-cinq ans, il prend des risques, et se livre : une sincère singularité, qui ne demande qu’à rayonner.
Chanson-thérapie
Une version "face", à l’opposé du même feeling : le copain, le grand frère Bruno Marcil prend le relais. Une voix grondante et chaleureuse, qui s’essaye sans succès (!) à l’accent provençal, un timbre à la Johnny Cash ou à la Paolo Conte, le distinguent. Une stature imposante de papa ours tient avec délicatesse une guitare presque dérisoire, l’effleure avec tendresse et fait valser ces petits riens qui content le monde – une goutte, une seconde. Ce comédien professionnel effeuille la carapace pour ne garder que la substance : un art rocailleux, brut, profond, ensoleillé, qui vise l’essentiel. Une chanson-thérapie, pour petits bobos et gros chagrins.
Gaële et Jipé, en couple "à la ville comme à la scène", se partagent le plateau du lendemain. Une tornade aux grands yeux verts lutin, rehaussés d’une frange noire investit la scène. Comme une boule de flipper, la Française, Québécoise d’adoption, couette qui saute et part en vrille, construit son cabaret : un paysage bigarré, patchwork d’historiettes disjonctées. Entre les bras de la chanteuse, l’accordéon déploie parfois son doux murmure. La mutante mutine démontre alors l’étonnante virtuosité de sa voix, la gamme d’une émotion étendue, qui tisse sa sérénité à l’aune d’une extrême sensibilité. Une artiste originale, à l’aise, et sans concession, aux textes finement ciselés. A suivre.
Autre atout de la piquante brunette : la complicité de son "chum" Jipé Dalpé, qui éveille le public malouin de sa pop-fiction électrisante. Un univers rock, mais sacrément organique, un art de matière, généreux et savamment modelé, qui oscille en funambule sur la corde raide comme sur la sensible. Décollage immédiat pour des contrées inexplorées, courts-métrages un peu psychés, qui naviguent entre son anglophone et textes oniriques. Un beau voyage à découvrir sur son album à paraître.
Les quatre artistes se retrouvent enfin le dernier soir, pour un final à la hauteur de leur étonnant talent, accompagnés notamment de Denis Ferland à la guitare et Sylvain Delisle à la basse, deux musiciens émérites. La relève de la chanson francophone représente : quatre couleurs, quatre personnalités généreuses et flamboyantes, qui ont égayé la cité malouine et ses repaires de brigands de leur présence. Le petit festival, grand par la convivialité, se clôt par un show de Fabiola Toupin, diva lyrique et romanesque, qui incarne les poètes de son pays.
Pour nous aussi, le périple s’achève, le sourire aux lèvres. De Tadoussac à Saint-Malo, nous nous sommes rêvés au bord d’un fleuve grand comme la mer, puis avons entendu, par-delà les remparts, l’appel du chant des baleines.
Bruno Marcil Pas dormir (L’Usine Brune) 2007
Gaële Cockpit (De l’onde) 2007
Jipé Dalpé Les préliminaires (Sphère) A paraître le 9 septembre 2008
Anne-Laure Lemancel