Le difficile éveil de Pointe Noire
Depuis quatre ans, deux artistes ponténégrins se battent pour faire vivre la musique et les artistes à Pointe Noire, la capitale économique du Congo : Pierre Claver Mabiala, directeur de l’espace Yaro et Ya Tatchi, trompettiste de jazz basé en Suisse. Ce dernier vient de terminer la troisième édition du festival La Fête à Ndjindji, qui s’est tenue du 30 août au 1er septembre derniers à Pointe Noire. Son ambition ? Ouvrir l’oreille du public ponténégrin à des genres musicaux divers
Reportage au festival Ndji Ndji
Depuis quatre ans, deux artistes ponténégrins se battent pour faire vivre la musique et les artistes à Pointe Noire, la capitale économique du Congo : Pierre Claver Mabiala, directeur de l’espace Yaro et Ya Tatchi, trompettiste de jazz basé en Suisse. Ce dernier vient de terminer la troisième édition du festival La Fête à Ndjindji, qui s’est tenue du 30 août au 1er septembre derniers à Pointe Noire. Son ambition ? Ouvrir l’oreille du public ponténégrin à des genres musicaux divers
Espace Trentenaire, Pointe Noire, samedi 31 août 2008 : dans ce lieu culturel appartenant au groupe Total, le public clairsemé s’est réuni pour la troisième édition du festival La Fête à Ndjindji, le nom local de Pointe Noire. Son fondateur, Ya Tatchi, a choisi à cette occasion de programmer des artistes originaux, loin du ndombolo, le style musical congolais qui domine la scène nationale. Le vieux routier de la rumba Kimbolo Clotaire Douley dit "Kim Douley" est avec Ya Tatchi et son jazz fusion, la vedette de cette soirée. Ce showman de soixante ans, considéré comme une mémoire vivante de la musique congolaise, chauffe la scène par sa voix de crooner, ses titres très mélodiques allant de la rumba au rap. L’international est aussi là ce soir avec Onel Mala, venu de Côte d’Ivoire. Chanteur de la scène gospel, il mêle musique religieuse et reggae, un style original porté par sa voix puissante. Le pari du festival est difficile et les spectateurs sont difficiles à retenir. Il faut dire que le public s’est précipité au Mess mixte de Garnison pour aller fêter les quinze ans du célèbre groupe congolais Extra Musica. Là, la foule est dense et le show durera jusqu’à l’aube.
Le 1er septembre, le dernier jour du festival doit se dérouler à Fond Tiétié, un quartier populaire de la ville, considéré à la fois comme "chaud" et réceptif. Mais les forces de police qui devaient encadrer la manifestation ne sont pas au rendez vous et Ya Tatchi est contraint d’annuler. Cette anecdote montre à quel point, dans un pays désorganisé et peu ouvert aux initiatives privées, le challenge est audacieux. "Le budget régional de la culture pour Pointe Noire est de 1 250 000 francs CFA et ne permet pas de soutenir des manifestations, déplore le directeur départemental de la Culture et des Arts, Albert Kimbouala. Les sponsors privés ne se bousculent pas. Je leur reproche de mettre beaucoup d’argent sur les artistes étrangers et de ne rien faire pour les Ponténégrins. Nous avons ici cinquante orchestres de quartiers, dix à vingt artistes tradi-modernes et plus de 200 groupes traditionnels."
Les jeunes talents ne manquent pourtant pas. Il y a Naoutouma Kevin et Moussiessie, plutôt folk. Sheryl, qui chante du r’n’b en mbochi (une des langues parlées au Congo, ndlr), Lady Chrystelle qui tricote un folk teinté de variété ou encore Achille Muebo, qui s’exprime en kituba (une langue bantoue, ndlr) et en kuni (sa langue maternelle, ndlr) sur un mélange de rock et de ndombolo. Victimes de l’enclavement de Pointe Noire, les artistes restent souvent cantonnés à de petits lieux comme l’Abricotier, un restaurant au bord de la plage tenu par Patrick Lecallet, ancien saxophoniste de Mireille Mathieu. Lui tente d’aider bénévolement les petits groupes à tourner dans la région. Les musiciens - qui confient toucher des cachets variant entre 2 500 et 10 000 francs CFA - se retrouvent également à la Sanza, le seul piano bar de la ville. La patronne, Elsa Fila, est chanteuse et tente de promouvoir certains genres musicaux : "En début de soirée, nous faisons du jazz puis nous nous adaptons à la clientèle. Nous avons beaucoup de musiciens qui se retrouvent chez nous le soir".
Initiatives contre l’enclavement
Si les studios sont inexistants, les artistes enregistrent dans des home studios des produits qu’ils peinent à distribuer. Heureusement, le spectacle vivant a son défenseur, Pierre Claver Mabiala, directeur de l’espace culturel Yaro né en 1999. "Je suis metteur en scène de théâtre et la troupe Bivela, que je dirigeais, n’avait pas beaucoup de perspectives de spectacles à part jouer une fois par an au Centre Culturel Français. D’où l’idée de monter notre propre lieu." La mairie fournit alors un espace en plein air et la troupe y organise depuis des spectacles qui attirent jusqu’à 500 personnes.
En 2003, Pierre Claver Mabiala se forme au métier d’opérateur culturel avec le soutien de l’Association française d’action artistique (AFAA, devenue depuis Culturesfrance, ndlr) et de l’Organisation internationale de la francophonie et crée une SARL (une société à responsabilité limitée, ndlr). Le lieu déménage en face de la mairie, devient bientôt un centre de formation des jeunes talents, ouvre un bar et diversifie ses activités en invitant des danseurs et des musiciens valorisant les musiques régionales. Soutenu par les autorités locales - qui fournissent voitures et quelquefois sono -, il donne des spectacles dans la région et monte diverses manifestations comme les Reflets Loango, une résidence d’artistes d’Afrique centrale qui réunit des musiciens, des comédiens et des danseurs. "La résidence se termine par la réalisation d’un spectacle qui tourne ensuite dans les différents pays. En musique, nous avons reçu Guy Makanga, Guy Serge Boulingui, et bien d’autres."
Outre La Fête à Ndjindji, il existe également à Pointe Noire le festival U’sangu Ndjindji, créé en 2005. Après une première édition exclusivement locale, il évolue vite vers une programmation plus large incluant des artistes comme Hardos Massamba de Brazzaville, Annie Flore Batchiellilys du Gabon et Kareyce Motio du Cameroun. Pierre Claver Mabiala projette aujourd’hui de partir au Womex (World Music Expo), à Séville, en Espagne, pour assurer la promotion de ses jeunes poulains au-delà du festival. De son côté, Ya Tatchi a contacté Manu Dibango pour monter avec lui des workshops en vue de former aux cuivres les jeunes musiciens.
Tous deux attendent avec impatience la nouvelle loi d’orientation de la politique culturelle, qui vient d’être votée, et promet de consacrer 0,1% du budget national à la culture. Jusqu’à ce qu’elle soit appliquée, ils continueront à se battre.
Ecoutez un extrait de
par Kimbolo Douley
Ecoutez un extrait de
par Onel Mala