Stereolab, l’exception pop

Emmené par la chanteuse française Laetitia Sadier, Stereolab est depuis plus de quinze ans un groupe majeur de la scène pop indépendante britannique. Et cela sans rien céder de son goût pour les bizarreries sonores, les paroles mystico-philosophiques et le chant en français, comme le prouve le très réussi Chemical Chords, neuvième album studio de cette formation essentielle. Explications.

De la poésie du français

Emmené par la chanteuse française Laetitia Sadier, Stereolab est depuis plus de quinze ans un groupe majeur de la scène pop indépendante britannique. Et cela sans rien céder de son goût pour les bizarreries sonores, les paroles mystico-philosophiques et le chant en français, comme le prouve le très réussi Chemical Chords, neuvième album studio de cette formation essentielle. Explications.

A ceux qui ne voient en la pop moderne qu’une simple répétition de vieux schémas et de thèmes convenus, Stereolab offre un démenti cinglant. Depuis l’inaugural Peng ! en 1992 et son rock très "Velvet", le groupe s’est adonné à toutes sortes d’expériences sonores. De l’électro rétro teintée de jazz à la pop psychédélique, avec un point culminant : le chef d’œuvre Emperor Tomato Ketchup en 1997. "Nous avons tendance à ne rien faire dans la facilité, explique Lætitia Sadier, co-leader et auteure du groupe, aux côtés de l’anglais Tim Gane, compositeur. Dès qu’un certain confort apparaît, on va se mettre d’instinct dans une situation plus périlleuse."

Reconnu depuis comme l’un des pionniers du post-rock et de la lounge music, Stereolab cultive à chaque album ce qui fait son immense originalité : des orchestrations riches d’inspiration années 1960, un groove hypnotique, des mélodies sucrées et la voix sobre, à la fois lointaine et entêtante, de Lætitia Sadier. "Il y a une idée derrière chaque disque de Stereolab", précise-t-elle. Celle du dernier opus ? "Partir de boucles rythmiques inspirées de la Motown et construire des chansons d’un format plutôt court."

Des morceaux courts, certes, mais incroyablement denses. Une forêt de cordes et de cuivres (signées Sean O’Hagan, leader des excellents High Llamas), de claviers et de boucles où l’oreille peu avertie s’égare vite. Après quelques écoutes, le paysage s’éclaircit cependant, les harmonies se font plus précises, et l’on s’émerveille du pouvoir "addictif" de certains titres, comme l’entraînant Three Women ou Vortical Phonothèque. Le chant atypique de Lætitia n’y est pas étranger : très discret, souvent en retrait de la musique, il brille pourtant d’une lumière mystérieuse, parfois euphorisante. "J’essaie d’être au plus près de ma voix naturelle, sans effet, sans affectation", explique-t-elle. À mille lieues des divas virtuoses, ses modèles se nomment France Gall, période pré-Berger, pour "la simplicité dans la voix", Carmel et surtout Brigitte Fontaine : "Je me suis découverte en elle. Une grande rencontre, artistiquement et humainement".

Référence à la guerre d’Algérie

Les textes des chansons, en français et en anglais, font également de Stereolab un groupe à part dans le paysage de la pop anglo-saxonne. Outre les titres, cryptiques à souhait (One Finger Symphony, Self Portrait with Electric Brain), les paroles jonglent avec le mythe de Sisyphe (Valley Hi !), les monstres des mers (Three Women) ou les molécules atomiques avec une naïveté enfantine des plus rafraîchissantes. "J’aime bien infuser de l’espoir et de l’optimisme. Je suis adepte du Shiatsu, je crois aux liens entre pensée et matière, et à notre pouvoir d’influencer positivement la réalité." Sur Nous vous demandons pardon, la chanteuse réclame que l’on érige à Paris "un monument à tous les Algériens" et "à ceux à qui l’on a fait du mal" : référence surprenante à la guerre d’Algérie et certainement inédite dans l’histoire du rock indépendant…

Malgré un public presque exclusivement anglophone, Stereolab a fait de l’usage du français – majoritaire sur Chemical Chords – son "exception culturelle", depuis ses débuts. "C’est un fait naturel, explique la chanteuse, également leader de l’excellent groupe bordelais Monade. Je ne pourrais pas chanter qu’en anglais, ça serait trop forcé. Certaines chansons ne sont jamais passées en radio à cause de ça. Le prix à payer pour notre liberté…" Une posture édifiante, alors qu’ironiquement de plus en plus de groupes rock de l’Hexagone s’interdisent l’usage de leur langue maternelle au nom de cette même liberté. "Ne chanter qu’en anglais alors que l’on est Français, qui plus est devant un public francophone, c’est absurde, répond-elle. La question de la "langue du rock" est un faux débat. Gainsbourg, Gall ou Hardy ont prouvé que l’on pouvait, en pop, faire sonner le français de manière très poétique. L’important est que les mots se fassent l’écho du cœur et de l’idée, quelle que soit la langue." Un particularisme qui éveillera peut-être l’intérêt du public français, encore peu familier des méandres pop de cette formation essentielle.

 Ecoutez un extrait de

Stereolab Chemical Chords (4AD/Beggars) 2008
Actuellement en tournée aux Etats-Unis, puis en Europe et le 26 novembre à Paris à la Cigale.