L’accordéon sur tous les fronts et tons
Dédié à l’accordéon, le festival Nuits de nacre, installé à Tulle, fête son vingtième anniversaire, soit cinq jours de concerts (du 17 au 21 septembre) avec encore une fois une programmation ouverte à tous les registres, histoire de dire que cet instrument longtemps relégué dans les oubliettes a bel et bien un présent et un avenir. Ce que confirme Laurence Lamy, directrice et programmatrice de cette manifestation, qui dresse un bilan et des perspectives.
Nuits de nacre 2008
Dédié à l’accordéon, le festival Nuits de nacre, installé à Tulle, fête son vingtième anniversaire, soit cinq jours de concerts (du 17 au 21 septembre) avec encore une fois une programmation ouverte à tous les registres, histoire de dire que cet instrument longtemps relégué dans les oubliettes a bel et bien un présent et un avenir. Ce que confirme Laurence Lamy, directrice et programmatrice de cette manifestation, qui dresse un bilan et des perspectives.
RFI Musique : Comment est née l’idée de faire une manifestation dédiée à l’accordéon ?
Laurence Lamy : Ce festival a été créé dans la mouvance de la valorisation du spectacle vivant des années 80. Tulle, de par son histoire économique et sociale locale, était intimement lié à l’accordéon : il existe une fabrique d’accordéons (Accordéons de France Maugein) toujours en activité depuis 1919, une école de musique avec des classes d'accordéons depuis 1948 et bien entendu une longue tradition de savoir-faire et de pratiques musicales qui remonte à la fin du XIXe siècle. En 1988, après quelques années de rencontres organisées par l'Ecole de Musique sous forme de classes et concours, le festival est né, initié par le centre corrézien de développement culturel. Dans un premier temps, il s’agit de consolider l’image régionale, tout en commençant à ouvrir des fenêtres au niveau national, avec Richard Galliano qui en était alors le directeur artistique. Avec son départ, le festival a vécu une période d’étiolement, jusqu’à quasiment disparaître : en 1996, il ne s’agissait plus que de quelques concerts programmés en septembre dans la saison théâtrale de la ville…
C’est à cette époque que vous arrivez. Qu’est-ce qui vous a amené à reprendre la direction du festival ?
Je ne suis pas Tulliste, mais en revanche musicienne accordéoniste, et spécialistes des instruments à anches libres métalliques. Mes connaissances de l'instrument et ma passion doivent probablement faciliter les contacts avec les artistes. En fait, je suis arrivée à Tulle en tant que chargée de missions puis conservateur du patrimoine pour inventorier les collections d'accordéons dans le but de constituer le fonds du futur musée de l'accordéon appelé Pôle Accordéons de Tulle. La création d'un musée s'inscrit dans un calendrier souvent long. C'est pourquoi, tout naturellement, j’ai proposé à la mairie de redynamiser la diffusion de l'instrument et le festival, alors moribond, pour en faire la première partie visible de cette culture régionale. L’accordéon est l’un des symboles de la Corrèze. Nous avons été peu à croire à ce revival. Nous avons mis les personnalités culturelles autour de la table, pour tenter de redémarrer l'aventure. Dès 1998, des accordéonistes de tout bord, des accompagnateurs trop souvent dans l’ombre ou vedettes, ceux du monde de la musique improvisée comme ceux du bal musette se sont côtoyés afin d’avoir un regard aussi divers que le sont les propositions sur cet instrument. Cet éclectisme de répertoires et de systèmes m’a permis d’élaborer, avec l'APPNAT (Association pour la Préfiguration d’un Pôle National de l’Accordéon à Tulle), qui fut remplacée en 2003 par la Cité de l'Accordéon (Association de Gestion et d’Animation du Pôle de l’Accordéon), des programmations thématiques et transversales pour chaque édition. Dix ans plus tard, les Nuits de Nacre ont trouvé leur place dans le paysage national et international, proposant près de 90 concerts ou animations dans toute la ville et dans des lieux spécifiques comme la maison de détention, la maison de retraite, des hôpitaux ou des écoles. D’ailleurs, c’est un succès critique et public, puisqu’en 2007 plus de 55000 spectateurs sont venus.
S’agissant du festival, comment avez-vous procédé pour reconquérir le public avec cet instrument longtemps considéré comme désuet, ou comme un simple artefact avec son lot de clichés ?
Par une montée progressive au fil des ans, dans le respect de tous les répertoires, de tous les publics et de tous les instruments. Ici, le public est très divers : toutes les générations et toutes les classes sociales s’y retrouvent. Il y en a pour tout le monde : de ceux qui aiment le jazz à ceux qui veulent guincher, de ceux qui viennent du rock à ceux qui apprécient le classique. Il y a autant de propositions qu’il y a d’artistes et d'accordéons. L’instrument n’existe que par celui qui en joue. Au XIXe siècle, je veux bien croire que cette petite boîte à musique pouvait sembler désuète par rapport à la musique savante d’alors. Aujourd’hui, ce n’est plus du tout le cas : l’accordéon est un instrument techniquement développé et qui s’intègre à tous les répertoires, à toutes les musiques, à tous les peuples. Pour les artistes programmés à Tulle, l'instrument n’est pas un prétexte, mais une réalité artistique.
Malgré tout, vous avez vos genres de prédilection, des accordéonistes fétiches ?
Toutes les approches sont différentes, et aucune ne prime sur l’autre. Je n’ai aucun a priori quant aux répertoires abordés. Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises musiques mais uniquement de bons ou mauvais musiciens. Certaines personnalités ont compté dans cette longue réhabilitation de cet instrument considéré pendant de nombreuses années comme ringard ou tout simplement décalé. Avec leur capacité à constamment s’adapter, certains musiciens comme Armand Lassagne, Joss Baselli, André Astier, Marcel Azzola, Jo Privat, Jean Corti et bien d'autres ont joué le rôle de passeurs. Max Bonnay à notre époque contemporaine s'inscrit également dans cette démarche dans le répertoire dit du classique. Tout comme Marc Perrone ou Alain Pennec ont beaucoup œuvré pour le diatonique depuis les années 70, en fécondant un univers sans équivalent… qui n’a rien à avoir avec celui de leur cadet, Mériadec Gouriou qui, avec le même instrument, s’est construit une autre identité, un pari sur une nouvelle modernité. Je pourrais en dire tout autant d’Arnaud Méthivier ! En fait je pourrais en citer une quantité rien qu’en France ! C’est justement l’un des traits de l’accordéon actuel : être l’un des rares instruments où le renouveau se fait dans le respect de la diversité et du métissage. Il suffit d’écouter René Sopa et Marcel Loeffler, que nous programmons en duo. C’est aussi le cas du fil rouge de cette édition : Lionel Suarez, qui joue avec Sanseverino, invite Mouss & Hakim et dialogue avec André Minvielle…
Justement, Minvielle a travaillé avec Bernard Lubat, l’un des artisans du renouveau de l’accordéon, préfigurant le new musette de Richard Galliano…
D’autres avant eux avaient balisé le terrain. Dès les années 30, le swing fricotait avec les claviers. Les Charley Bazin, Louis Richardet, Jo Privat, Gus Viseur et Tony Murena furent de remarquables précurseurs avec leur jazz musette ou manouche à la française. Daniel Colin, Francis Varis, Bernard Lubat, Richard Galliano sont arrivés à un moment où l’instrument était mûr techniquement et sociologiquement, tout à fait prêt à recevoir et intégrer les mondes de la musique dans son intégralité. Bref des vrais passeurs et une relève de générations qui étaient en mesure d'assimiler les différences.
A cet égard, le festival est-il aussi à l’écoute de ce qui se passe à l’international ?
Comment faire autrement ? La pratique de l’accordéon ou de l'instrument à anches libres est mondiale, ce qui ne veut pas dire qu’elle soit universelle. Les systèmes et les pratiques d'accordéon sont souvent différents selon les territoires. Exemple : Marcel Azzola et André Verchuren ne jouent pas avec les mêmes systèmes et ne peuvent ainsi échanger leur instrument ! Nous élaborons des coopérations ou des ouvertures vers les autres pays européens, comme en 2007 où nous avions invité 80 Finlandais, dont le virtuose Kimmo Pohjonen en chef de file. Cette année, nous mettons un coup de projecteur également sur le musicien Belge Aldo Granato qui mène un projet plus electro, encore un domaine où l’accordéon semble avoir trouvé sa place tout naturellement. Des répertoires qui fusent avec nos sensibilités contemporaines, il était donc tout à fait normal qu’il se retrouve aux Nuits de Nacre...
Ecoutez un extrait de
par Richard Galliano