Mikidache et M’Toro Chamou

Ambassadeurs de la musique mahoraise, Mikidache et M’Toro Chamou ont choisi de croiser leurs voix et leur guitares sur Tsenga, un album qui met en lumière la complémentarité de leurs styles respectifs. Pour ces deux artistes français de l’océan Indien installés depuis plusieurs années en métropole, ce projet est aussi un moyen de s’investir davantage dans leur île natale. Explications avec Mikidache, ancien lauréat du prix Découvertes de RFI.

Mayotte à deux voix

Ambassadeurs de la musique mahoraise, Mikidache et M’Toro Chamou ont choisi de croiser leurs voix et leur guitares sur Tsenga, un album qui met en lumière la complémentarité de leurs styles respectifs. Pour ces deux artistes français de l’océan Indien installés depuis plusieurs années en métropole, ce projet est aussi un moyen de s’investir davantage dans leur île natale. Explications avec Mikidache, ancien lauréat du prix Découvertes de RFI.

RFI Musique : Qu’est-ce qui vous a amené à emprunter la même route le temps de cet album Tsenga, alors que vous avez chacun une carrière solo ?
Mikidache : Avec M’Toro, on se connait depuis une dizaine d’années. On s’entend humainement et artistiquement. On avait besoin à un moment donné d’officialiser cela sur un support. Ça s’est d’abord traduit sur mon dernier album, Mgodro Gori : je l’avais invité pour qu’on fasse sa chanson Mwaylera. Cette fois, on a eu envie d’aller plus loin. Tsenga, ça veut dire qu’il faut semer, couper les mauvaises herbes pour que l’arbre fleurisse. C’est un point de départ pour tous les projets dans lesquels on a envie de s’investir à Mayotte. On ne veut pas faire un duo juste pour la forme, mais vraiment montrer que des artistes du même pays peuvent collaborer ensemble sans se jeter des pierres.

Il n’y a pourtant qu’un seul vrai duo sur cet album : la première chanson intitulée Rtsonana. Pour le reste, on vous entend à tour de rôle avec vos compositions respectives. Pourquoi cette formule ?
Dans le premier morceau, chacun chante à tour de rôle, mais on se retrouve aussi à beaucoup d’autres moments dans l’album. Le duo est surtout "guitaristique" : on joue tous les deux sur chaque morceau et nos jeux de guitares se complètent parfaitement. On a travaillé en commun mais on avait un problème de temps pour pouvoir créer ensemble.

Comment avez-vous réalisé que vos styles étaient complémentaires ?
Quand on se retrouve avec M’Toro, on joue plus qu’on ne discute. Et on s’est rendu compte que nos guitares fonctionnent bien ensemble : il a un jeu assez rythmique alors que moi, c’est plus du doigté, un peu en open tuning (accords libres, ndlr)… Ça s’est fait tout seul, même s’il y a eu du travail pour cadrer tout ça sur cet album. Au niveau du chant, on se complète aussi : je suis assez mélancolique, aérien, mélodique et lui est plus dans l’énergie.

Sur Tsenga, les chansons sont en shimahorais et en malgache. Vous maniez les deux langues avec la même aisance ?
Je parle les deux. Tout petit, quand j’étais à la Grande Comore, mes parents me parlaient malgache puisqu’on est originaire d’un village, Chiconi, où c’est la seule langue utilisée. M’Toro a aussi des origines malgaches, mais on ne lui a pas appris à le parler.

Au delà de l’aspect artistique, votre collaboration ne revêt-elle pas une dimension plus symbolique ?
Effectivement, à travers le duo M’Toro et Miki, les aîné voient les "sorodats" et les "serrez-la-main" ensemble (partisans et adversaires du maintien de Mayotte au sein de la République française lors du référendum d’autodétermination des Comores en 1975, ndlr). Si c’est une vision de réconciliation, pourquoi pas ? En tout cas, nous, nous ne voyons pas les choses de cette manière-là. Notre génération ne pense plus spécialement à cela. M’Toro et moi, nous sommes avant tout des amis, des artistes, et la musique prend le dessus.

Ce schisme entre les "sorodats" et les "serrez-la-main" est-il toujours perceptible aujourd’hui à Mayotte ?
A mon avis, cela concerne surtout les anciens. Mayotte commence à changer. Plus de la moitié de la population à moins de vingt ans et beaucoup de jeunes ne sont pas au courant de ce qui s’est passé. Nous, les trentenaires, on sait ce que ça peut représenter mais on veut montrer que les gens peuvent aller de l’avant et enterrer la hache de guerre.

La première chanson de l’album est une invitation à venir découvrir Mayotte alors que les suivantes évoquent davantage ce qui, à vos yeux, ne va pas dans la société mahoraise. N’est-ce pas paradoxal ?
On aime Mayotte et on a envie que les gens la connaissent. Mais, parallèlement, on essaie de conscientiser les responsables politiques locaux pour qu’ils ne fassent pas fausse route : l’évolution politique de Mayotte et de son statut ne doivent pas faire oublier la culture. Tout en restant dans la République française, Mayotte doit garder son identité. Sans faire de la politique, c’est ma manière à moi, en tant qu’artiste, de contribuer au débat.

Quel sera votre programme à Mayotte où vous partez prochainement tous les deux pour présenter votre album ?
On a décidé de faire désormais les choses par nous-mêmes. M’Toro et moi, on est un peu les "grandes gueules" depuis qu’on a dénoncé le fonctionnement du système à Mayotte. A la suite de nos critiques, le directeur du Service culturel a dû partir. L’association Tsenga va donc s’occuper de A à Z de cette tournée chez nous, en partenariat avec le Service culturel local qui nous propose un concert dans le cadre du festival interculturel de Mayotte. Il y aura cinq autres concerts, organisé par nos soins avec nos partenaires. On va faire également deux showcases devant les magasins Sodifram. Cette chaine de magasins d’alimentation – la plus grande entreprise de Mayotte – va se charger de la distribution. C’est une première ! On voulait professionnaliser ce secteur-là parce qu’à chaque fois qu’on se rend chez nous avec quelques disques, on se fait arrêter à la douane…

 Ecoutez un extrait de

Mikidache et M’Toro Chamou Tsenga (Cobalt/Harmonia Mundi) 2008
Mikidache en concert le 24 septembre à L'institut des Cultures d'Islam à Paris