Cheick Tidiane Seck, le rassembleur

En signant Sabaly, son troisième album, le "Black Bouddha" (son surnom dans le milieu) s’est offert une rencontre entre amis, histoire de faire valoir pour une fois sa musique à lui. Eclectique et passionné, ce musicien peul que les Dogons ont surnommé Hogon Fô (le vieillard rassembleur) tente aujourd’hui de se construire une image personnelle. Pari difficile.

 Retrouvez Cheick Tidiane seck dans l'émission Musiques du monde sur RFI le 7 octobre prochain

Troisième album en solo

En signant Sabaly, son troisième album, le "Black Bouddha" (son surnom dans le milieu) s’est offert une rencontre entre amis, histoire de faire valoir pour une fois sa musique à lui. Eclectique et passionné, ce musicien peul que les Dogons ont surnommé Hogon Fô (le vieillard rassembleur) tente aujourd’hui de se construire une image personnelle. Pari difficile.

 Retrouvez Cheick Tidiane seck dans l'émission Musiques du monde sur RFI le 7 octobre prochain

RFI Musique : Sabaly est votre troisième album en solo. Que représente-t-il dans votre parcours ?
Cheick Tidiane Seck : Dans Sarala, je rentrais dans le jeu esthétique de Hank Jones, j’arrangeais sa musique et je jouais ma partie. Dans MandinGroove, je valorisais ma maîtrise des rythmes, mon rôle de précurseur (j’ai été le premier au Mali à utiliser des synthétiseurs). Sabaly est l’album de la maturité. Il est beaucoup plus axé sur mes compositions et je chante sur tous les titres.

Vous faites partie de ces familles peules du nord du Sénégal qui ont suivi El Hadji Omar Tall au XIXe siècle pour conquérir la ville de Ségou, au Mali. Vos origines peules représentent-elles beaucoup dans vos références musicales ?
Mes grands-parents étaient des Almadas, des conseillers spirituels d’El Hadj Omar Tall venu convertir à l’islam les Bamana (Bambaras). Ségou, où je suis né, est la ville phare du royaume Bamana. Mais je dois tout à la région de ma mère, Sikasso, en royaume sénoufo. J’ai aussi subi l’influence de la mission catholique où j’ai appris l’harmonium et le solfège. Puis à l’adolescence, je suis allé à Bamako, en zone malinké. Mes sources musicales sont donc multiples : peule, bamana, sénoufo, chrétienne et malinké.

Dans cet album - qui va du jazz au rap, en passant par le gospel et divers styles du mandingue -, vous avez invité une multitude d’artistes : Toumani Diabaté, Afel Bocoum, Djelimady Tounkara, Dee Dee Bridgewater, Habib Koité. Comment s’est opéré ce choix ?
J’ai appelé les gens avec qui j’avais des affinités. Toumani Diabaté a été influencé par mon jeu de piano. Son jeu très épuré, très contemporain, vient de ce rapport entre la kora et le piano. Afel Bokoum m’apporte le folklore songhaï du grand Mali que j’écoutais à la radio. Habib Koïté  a été mon élève à l’Institut national des Arts de Bamako. Il a même fait partie du groupe que j’avais monté, Stars du Mali. J’aime son rapport à la composition, à l’écrit. Djélimady Tounkara fait partie des gens que j’ai initiés au sein du Rail Band. Dee Dee Bridgewater est venue deux fois au Mali pour enregistrer. Elle est persuadée que ses origines sont mandingues et peules. Je l’aide à approfondir cette quête en l’emmenant dans des musées. Quand elle est arrivée à l’aéroport de Bamako, un vieux monsieur l’a serrée dans ses bras et l’a appelé Tereta Diallo (un nom peuhl). Il l’avait prise pour sa nièce !!

Sur Sabaly, vous affichez votre goût pour les musiques noires américaines… Dans les années 1970, on était fasciné par le son de Motown. Je joue beaucoup aux Etats-Unis et en trente-cinq ans, je n’ai jamais été auditionné, tout se passe sur la réputation. J’ai fait des sessions avec Hammett Bluett, le maître absolu du groove, Vernon Reid, Living Colour et Roy Hargrove.  J’ai joué lors du Martin Luther King Day avec Don Parker. Depuis 2000, je donne des cours sur les rapports entre la musique ouest-africaine et le jazz à l’UCLA (l’Université de Los Angeles).

Vous avez également une passion pour le rap. Le mixage du disque a été réalisé par Reptile (NTM)…
Oui, il m’apporte cette base hip hop, ce côté frais. En musique, je n’ai aucun a priori sur les gens et les styles, j’ai un regard très contemporain sur la musique (je me passionne actuellement pour la jungle, la drum & bass). Dans le rap, j’apprécie la rythmique de la voix dans le placement mélodique, ce que les rappeurs appellent le flow. Ça me fait penser à ces conteurs comme Djéli Baba Cissoko que j’écoutais, môme, sur Radio Mali. Aux USA, des rappeurs viennent m’écouter : Jay-Z ou Questlove, leader du groupe The Roots. Je refuse avec violence cette idée qu’on devrait enfermer les Africains dans l’acoustique. Je me sens proche de Graham Haynes, Joe Zawinul. Je joue sur un Pitch Bender. Je tente de transposer au synthé les notes mandingues pour inventer un nouveau son.

Comment composez-vous ?
Je n’ai pas de codes définis. J’utilise les machines et, selon la couleur du son, j’opère une progression harmonique ou rythmique. Les idées de morceaux viennent par hasard. Par exemple, j’ai composé Soweto ici en France. Je venais de voir le film Cry Freedom sur Steve Biko, j’étais en larmes. Tounkaranké m’a été suggéré par mes déboires de papiers. Je compose à partir de ma guitare. La pluie est un stimulant à ma composition, elle fait naître des mélodies dans ma tête, des états d’âme.

Quand on est catalogué comme directeur artistique, arrangeur, compositeur de tant d’artistes, n’est-il pas difficile de se construire une image personnelle ?
Je suis un rassembleur. J’aime le mélange, l’universalité. Ma culture se renforce quand je la partage, je nourris les autres et cela me fait grandir. La musique, c’est comme l’acte sexuel, que vous soyez Peul ou Breton, quand vos corps se rapprochent, il n’y a pas d’appréhension, c’est une osmose car on est sur un pied d’égalité. Il y a quelques mois, j’ai dirigé une section de percussions sacrées Dogon. Les Dogons m’ont donné le titre de Hogon Fô (vieillard rassembleur) : je n’ai pas trahi leur musique, j’ai creusé tout simplement, j’ai approfondi. Mais c’est de famille : ma mère (qui est chanteuse) aimait fédérer les gens, elle réunissait toutes les chanteuses du Mali.

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avec Check Tidiane Seck

Cheick Tidiane Seck Sabaly (Universal Jazz) 2008

En concert au New Morning à Paris le 28 octobre 2008