Joby Bernabé au festival Vibrations Caraïbes

La troisième édition du festival parisien des arts venus des Antilles, Vibrations Caraïbes, présente notamment un duo explosif du conteur et poète martiniquais Joby Bernabé, avec son compatriote le batteur Jean-Claude Montredon.

Une expérience inédite

La troisième édition du festival parisien des arts venus des Antilles, Vibrations Caraïbes, présente notamment un duo explosif du conteur et poète martiniquais Joby Bernabé, avec son compatriote le batteur Jean-Claude Montredon.

Pour la troisième fois, le festival Vibrations Caraïbes part explorer les musiques et les cultures de l’arc d’îles qui unit les deux Amériques. Une fois de plus, sa directrice artistique Coline-Lee Toumson multiplie les angles de vue sur des expressions en perpétuelle révolution, en perpétuel questionnement, en perpétuelle réinvention. Des Antilles françaises à la Jamaïque et à Trinidad, des "petites" îles anglophones à la République dominicaine et aux capitales de la diaspora caraïbe (Paris, Londres, New York), le festival invite aux découvertes et aux croisements : expositions, conférences, films documentaires et bien sûr concerts.

Parmi les spectacles les plus attendus, la rencontre sur scène, le dimanche 19 octobre à la Maison des Cultures du monde, de Joby Bernabé et de Jean-Claude Montredon. Ce dernier est un batteur de jazz martiniquais aux états de service prestigieux et significatifs, notamment avec le pianiste Alain Jean-Marie. Et Joby Bernabé est depuis trente ans une des voix les plus audacieuses de la scène martiniquaise, quelque part entre spoken word à la manière des Américains des années 60, déclamation poétique et verdeur du conte traditionnel créole.

Ce sera donc un concert, une performance, un happening ? "Plutôt une performance", préfère Joby Bernabé. Il dira des textes, des poèmes dans une rencontre d’un genre nouveau pour lui. "C’est la rencontre de deux expressions. Il y a deux paroles fortes, la mienne et celle de la batterie." Il en rêvait depuis longtemps : "J’ai été marqué par des artistes de ma génération, l’Art Ensemble of Chicago ou les Last Poets. J’ai toujours eu envie de dire des paroles sur le swing jazz et blues."

Une parole innovante

Les expériences de l’Art Ensemble of Chicago avec des poètes ou des chanteurs (notamment en France avec Brigitte Fontaine) ou le proto-rap des Last Poets dans les années 70 ont eu en effet une importance fondamentale dans sa formation d’artiste. Comme beaucoup d’enfants des Antilles à l’aube des années 60, il a grandi avec la vogue latine qui donne une puissance hégémonique au boléro et au son cubano (le répertoire du futur Buena Vista Social Club), avant que l’on commence à entendre la chanson haïtienne en Martinique. En 1978, il apparait sur la scène antillaise, jetant une parole véhémente, innovante, fervente, inattendue. En ces temps de réappropriation de la langue créole et de traditions longtemps tenues sous le boisseau, Joby Bernabé est un révolutionnaire culturel. Poète, psalmodieur, comédien ? "Depuis trente ans, j’ai été catalogué comme conteur parce que, dans notre culture, la parole sur scène est celle du conteur."

Aujourd’hui, le slam a fait son entrée aux Antilles. "On me demande si je suis l’ancêtre du slam, s’amuse Joby Bernabé. Les questions commencent à se poser entre le slam et le conte. Le conteur traditionnel travaille sur un débit qui peut ressembler à celui du slam, avec des frappes assez proches" – issu d’une culture marquée de manière décisive par les tambours, il parle de "frappe" pour la voix.

Figure emblématique d’une certaine conscience culturelle antillaise, il ne cache pas son désir et son ambition de se diriger vers la chanson dans les années à venir. "Normalement, je n’aime pas que la parole soit trop envahie par les instruments. Au début, j’avais un groupe important autour de moi. Puis ça s’est dépouillé, avec le temps." Et, depuis quelques années, il est en général accompagné par un guitariste acoustique ou un harmoniciste.

En français

L’expérience avec le batteur Jean-Claude Montredon a une conséquence inattendue : pour la première fois, Joby Bernabé va donner un spectacle tout en français. "Quand je pense à la parole blues, je pense à une parole de révolte, de poésie, de déchirure. Et il fallait des textes dans cette veine, que j’ai pris chez les poètes contemporains, dont deux textes de Césaire. Il se trouve qu’ils sont tous des auteurs de langue française. Mais quand la parole n’est pas chant, quand elle n’a pas le support de la mélodie, les gens ont une frustration s’ils ne comprennent pas."

Le rapport des deux langues parlées aux Antilles françaises n’est pas toujours simple. "Je me considère comme presque parfaitement bilingue. Il y a une relation un peu conflictuelle entre français et créole – ce que les scientifiques appellent une situation de diglossie. Il se trouve que je travaille avec un matériau qui est le mot – la frappe, l’attaque, la forme du mot. Et je ne veux pas m’enfermer dans le conflit. Prendre la parole, c’est faire sonner, faire vibrer le mot. Et le français peut prendre des sonorités créoles."

 Ecoutez un extrait de

Festival Vibrations Caraïbes, jusqu’au 26 octobre 2008