Le 16 octobre, de Delhi à Chandigarh

Nous prenons le train à Delhi. Les deux gars embauchés pour nous aider avec les bagages se font interdire fermement l'entrée de la gare, réservée aux porteurs assermentés. On insiste mais la police nous rejoint, s'énerve et nos deux aides prennent peur. Un vieux porteur musulman à la longue barbe cendre et neige se charge alors de ma valise qui fait plus de vingt kilos. Il ne veut pas de la concurrence déloyale que je lui montre du doigt - les quatre roulettes à la base du bagage - et charge la grosse bête sur son crâne. J'ai mal à ses cervicales mais c'est tout ce qu'il a à vendre, sa force, l'ancien. Je lui donne le salâm à son départ, avec un bon billet, adieu l'oncle...

Le train va partir ... il part ... il est parti ... L'allure est douce, je reste accroché un moment à la porte ouverte du wagon, à regarder le paysage de Delhi défiler, tout un monde vit le long des rails :

Un gosse maquillé de poussière essaie de récupérer un truc dans un trou rempli d'eau et d'huile,
deux hommes à lunettes et chemises couleur prune me regardent étonnés,
trois chiens la queue dressée se moquent des wagons qui les frôlent,
quatre saddhus au pagne orangé préparent leur couche sur un quai désaffecté,
cinq bicoques en ruines peintes de couleurs vives et gaies
protègent six familles nombreuses,
sept graines de bonheur dans les regards,
huit larmes de misère sur ta peau, petite,
une pluie de destins croisés qui s'envolent dans l'air,
la nuit tombe et j'attends la pleine lune qui ne va pas tarder,
à moins que ce ne soit elle qui déjà me guette à l'horizon.
Il y a toujours une part de regret en germe dans l'amorce du désir qui éclot, comme l'ombre annonce parfois la venue du soleil. Parfois le ciel est rouge et le sang couleur charbon, parfois le jour ressemble à la nuit, on sait qu'il peut y avoir plus de lumière sous une lune laiteuse que dans une journée sans tendresse...

Un train s'enfonce dans le crépuscule vers le Penjab indien,
trois musiciens s'assoupissent en rêvant,
je les connais bien,
ces gaillards sont mes compagnons.
Ram Ram, chandni Rat!

Texte et photos : Titi Robin

Nous prenons le train à Delhi. Les deux gars embauchés pour nous aider avec les bagages se font interdire fermement l'entrée de la gare, réservée aux porteurs assermentés. On insiste mais la police nous rejoint, s'énerve et nos deux aides prennent peur. Un vieux porteur musulman à la longue barbe cendre et neige se charge alors de ma valise qui fait plus de vingt kilos. Il ne veut pas de la concurrence déloyale que je lui montre du doigt - les quatre roulettes à la base du bagage - et charge la grosse bête sur son crâne. J'ai mal à ses cervicales mais c'est tout ce qu'il a à vendre, sa force, l'ancien. Je lui donne le salâm à son départ, avec un bon billet, adieu l'oncle...

Le train va partir ... il part ... il est parti ... L'allure est douce, je reste accroché un moment à la porte ouverte du wagon, à regarder le paysage de Delhi défiler, tout un monde vit le long des rails :

Un gosse maquillé de poussière essaie de récupérer un truc dans un trou rempli d'eau et d'huile,
deux hommes à lunettes et chemises couleur prune me regardent étonnés,
trois chiens la queue dressée se moquent des wagons qui les frôlent,
quatre saddhus au pagne orangé préparent leur couche sur un quai désaffecté,
cinq bicoques en ruines peintes de couleurs vives et gaies
protègent six familles nombreuses,
sept graines de bonheur dans les regards,
huit larmes de misère sur ta peau, petite,
une pluie de destins croisés qui s'envolent dans l'air,
la nuit tombe et j'attends la pleine lune qui ne va pas tarder,
à moins que ce ne soit elle qui déjà me guette à l'horizon.
Il y a toujours une part de regret en germe dans l'amorce du désir qui éclot, comme l'ombre annonce parfois la venue du soleil. Parfois le ciel est rouge et le sang couleur charbon, parfois le jour ressemble à la nuit, on sait qu'il peut y avoir plus de lumière sous une lune laiteuse que dans une journée sans tendresse...

Un train s'enfonce dans le crépuscule vers le Penjab indien,
trois musiciens s'assoupissent en rêvant,
je les connais bien,
ces gaillards sont mes compagnons.
Ram Ram, chandni Rat!

Texte et photos : Titi Robin