Le reggae vérité d’Alpha Wess
A la flatterie des griots, Alpha Wess a toujours préféré le langage critique avec lequel le reggae s’est rendu populaire en Afrique de l’Ouest. Réfugié en France pour des raisons politiques, le Guinéen a enfin la possibilité de faire connaître son second album Le Choc des cultures qui l’a contraint, il y a quatre ans, de quitter précipitamment son pays.
Le Choc des cultures et le poids des mots
A la flatterie des griots, Alpha Wess a toujours préféré le langage critique avec lequel le reggae s’est rendu populaire en Afrique de l’Ouest. Réfugié en France pour des raisons politiques, le Guinéen a enfin la possibilité de faire connaître son second album Le Choc des cultures qui l’a contraint, il y a quatre ans, de quitter précipitamment son pays.
Une valise à la main, sa guitare sur le dos : Alpha Wess n’avait guère plus de bagages quand il a débarqué sur le sol français le 20 juin 2004. Son départ de Guinée s’était fait dans l’urgence. Huit jours plus tôt, le reggaeman avait été pris pour cible par des tireurs alors qu’il circulait dans sa voiture. Son chauffeur avait été touché, précipitant le véhicule dans un ravin. Le chanteur sentait bien que l’étau se resserrait un peu plus sur lui depuis quelques semaines, alors qu’il s’apprêtait à présenter son second album Koutou Koutou, aujourd’hui commercialisé à l’échelle internationale sous le titre Le Choc des cultures. “Chez nous, quand un album sort, on organise un concert-dédicaces dont 60 % du prix des entrées reviennent à l’artiste, ce qui lui permet d’avoir un peu d’argent et évite à la maison de disques de lui verser un acompte. Mais toutes les salles de concert m’ont été interdites”, relate-t-il.
La décision a de quoi surprendre au regard de la popularité dont jouit l’homme depuis qu’il s’est fait connaître en 2001 avec Baadé Gemba. Son reggae très roots, enrichi par des instruments traditionnels tels que la kora, le n’goni ou la flûte peule, lui sert d’abord à pointer les dysfonctionnements de la société guinéenne et le monde d’aujourd’hui, à la façon d’un Alpha Blondy ou d’un Tiken Jah Fakoly. Jamais, par exemple, il ne manque de rappeler que la Guinée est “un scandale géologique” : le sous-sol regorge de ressources (bauxite, or, diamant…) dont l’exploitation génère de colossaux revenus qui n’ont pourtant aucun effet sur le quotidien difficile des neuf millions d’habitants de ce petit Etat de 27 000 km2. Si le chanteur fait rapidement figure de poil à gratter du régime du président Lansana Conté, son franc parler permet à ses chansons de rencontrer un succès considérable auprès de ses compatriotes.
Un message à entendre
A défaut d’avoir pu jouer pour son public comme il l’espérait pour lui présenter Koutou Koutou, expression désignant le “partage rapide du bien commun par une minorité”, Alpha est parvenu à organiser une conférence de presse au Centre culturel français de Conakry. Devant les journalistes des quotidiens et magazines privés, il a pu évoquer ses nouveaux textes : le non respect des droits de l’homme dans Mobaloukomma, la situation de désespoir des jeunes Guinéens prêts à rejoindre à tout prix l’Occident dans Miriyema – Midio, l’attitude des responsables politiques guinéens dans Le Système... Afin que son message soit entendu par le plus grand nombre, l’ancien étudiant en sociologie a écrit ses paroles tour à tour en soussou, en malinké, en peul ou même en français. Si la cassette a été distribuée dans un premier temps sur le marché local, elle est très vite devenue indisponible, la duplication ayant été stoppée après le départ précipité de l’artiste.
Quand il a quitté son pays pour sa sécurité, le chanteur guinéen était persuadé que cet exil serait de courte durée. “J’avais senti venir la souffrance chez mes compatriotes. Elle pouvait exploser d’un moment à l’autre et cela donnerait l’occasion au pouvoir de déguerpir”, imaginait-il. Seule la première partie de sa prémonition s’est révélée exacte : le ras-le-bol des Guinéens s’est exprimé à plusieurs reprises, et chaque fois ces mouvements ont été réprimés dans le sang. C’est donc dans son pays d’accueil qu’Alpha Wess s’est résolu à penser son avenir immédiat et à accepter ses nouvelles conditions de vie : “J’ai connu une situation paradoxale : j’étais riche dans un pays pauvre et aujourd’hui je suis pauvre dans un pays riche.”
Avec Le Choc des cultures, il reprend sa carrière là où il lui avait fallu la laisser en donnant une seconde vie à ses chansons qu’il n’avait pas pu défendre chez lui. Il compte bien également faire part de ses réflexions sur la société française qu’il observe attentivement, en musique ou peut-être à travers les pages d’un livre. Longtemps, il a voulu être écrivain, avant de réaliser que chanter était le meilleur moyen de toucher les 65% de Guinéens illettrés. Dans sa démarche, l’essentiel n’est pas de dire, mais d’être entendu.
Ecoutez un extrait de Miriyema midio
Alpha Wess Le Choc des cultures (Makafresh/Pias) 2008