Heurts et bonheur au Festival Gwadloup
Pour sa première édition qui s’est tenue du 3 au 7 décembre, le festival Gwadloup n’aura pas tenu toutes les promesses que pouvait laisser sous-entendre l’ambition affichée : vouloir dresser un panorama des musiques caribéennes…
D'Admiral T aux Wailers
Pour sa première édition qui s’est tenue du 3 au 7 décembre, le festival Gwadloup n’aura pas tenu toutes les promesses que pouvait laisser sous-entendre l’ambition affichée : vouloir dresser un panorama des musiques caribéennes…
Carrefour musical de la zone caribéenne, la Guadeloupe souhaite traduire ce statut sur le papier en une réalité de terrain. Pour ce faire, le Conseil régional a initié la création d’un nouveau festival, qui soit un cocktail tropical pour tous les goûts. "Notre cahier des charges était de programmer des artistes internationaux fédérateurs, pour toutes les générations. Chaque île alentour a son festival. Il était temps qu’on le fasse", assurait ainsi le directeur de cette manifestation, Jacob Desvarieux. Avec plus d’un million d’euros de budget, le pari pouvait être tenu.
Les deux premiers concerts avaient ainsi pour cadre l’Artchipel, la belle scène nationale de Basse-Terre. En ouverture de ban, deux monuments du jazz antillais, Mario Canonge et Alain Jean-Marie, un quatre-mains esthète "pour un chouette concert" des mots de ce dernier. Le lendemain, devant une salle clairsemée, le Martiniquais Tony Chasseur présentait quant à lui son programme Mizikopeyi dont le disque est attendu ces jours-ci sur Aztec Music. Soit une version big band jazzy de certains classiques antillais, des mazurkas et du Jocelyn Beroard dans la texte, mais aussi La Mer en anglais et Cécile de Nougaro relookée sous les trait d’une biguine, sans oublier un hommage "à notre Aimé, père de la créolité"… Et parrain putatif de cette manifestation qui vise à tirer un trait d’union entre toutes les îles de l’archipel créolisé.
Malgré ces deux mises en bouche, l’essentiel du festival se concentrait sur les deux soirées organisées sur la plage de Viard, non loin de Petit-Bourg. Ce qui était une bonne idée - délocaliser la scène pour l’installer dans un cadre plus festif - se transforma en une énorme galère le premier soir : il fallait au bas mot deux heures pour rallier le lieu-dit ! Les embouteillages monstres témoignaient non pas du succès de cette première édition, mais bien plus d’infrastructures routières guère adaptées à ce type d’événement. Les plus chanceux auront pu entendre un des régionaux de l’étape, le sympathique Dominik Coco, en ouverture la soirée. A sa suite, Barrikad Crew augurait de bonnes surprises. Las, ce collectif de rappeurs haïtiens n’aura produit que d’anecdotiques polyphonies et de sympathiques joutes vocales s’inscrivant dans le droit fil de groupe telle que Saïan Supa Crew, la fraîcheur et la vigueur "en moins" comme on dit ici.
Le show bouillant d'Admiral T
De vigueur, Admiral T n’en manque pas. Tout comme de la rigueur. Celui qui a été récemment désigné comme personnalité guadeloupéenne de l’année par France-Antilles, le quotidien local, aura encore une fois fourni une prestation à la hauteur de son talent : un show bouillant, avec des textes relevés de ce qu’il faut de riddims chaloupés, chœur tout soul et tambours battants. "Mon univers est nourri de tous les styles caribéens. Mais ce qui fonde ma différence, c’est le ka : l’histoire des marrons, notre identité. C’est le son de la revendication. La même colère que dans le hip hop." Après le rap créole et le dance-hall façon guada, c’est désormais le kako qui booste la jeunesse guadeloupéenne. "Il s’agit de mixer rythmiques du ka aux sonorités urbaines", résume Admiral T, qui figure avec d’autres sur Dub’n’ka, une sélection qui invite à faire dialoguer gardiens de la tradition et tenants des nouvelles musiques urbaines. Rien à voir avec la tambouille des Wailers, une tiède parodie du mythe dont ils n’ont conservé que le bassiste et les poncifs…
Samedi soir, si le réseau autoroutier était plus fluide pour accéder au concert, le public était paradoxalement au rendez-vous : plus de 12 000 paires de pieds et d’oreilles, là où il n’était que la moitié la veille. Là, encore, la diversité du monde caribéen était en jeu, du très académique dance-hall du Bahamien Collie Budz au reggae basique de la nouvelle star jamaïcaine Jah Cure, des Cubains Los Van Van emmenés par Juan Formell au Guadeloupéen Patrick Saint-Eloi, véritable machine à zouker qui aura été le seul à mettre dans tous leurs états les dames du public.
En clair, des grands anciens succédaient ou précédaient des petits jeunes, au risque de brouiller les pistes dans ce qui se voulait la bande-son caribéenne. "Le trait d’union de tout cela, c’est l’Afrique. Une racine commune que l’on soit de Trinidad ou de Jamaïque. On parle la même langue, avec des accents différents" rétorque Jacob Desvarieux, avant de souligner les nombreuses difficultés à surmonter pour cette première édition, aux allures de numéro zéro selon lui. "C’est la première fois que se fait un festival caribéen ici. Ne serait-ce que pour des questions logistiques, c’est tout un chantier. Ce n’est pas facile d’atterrir ici quand vous êtes à Cuba ou à Kingston."
En cadence…
Enfin, "last but not least", la place de la Victoire de Pointe-à-Pitre était l’espace idoine pour accueillir dimanche un grand bal populaire pour réunir toutes les générations au soleil tombant. Des biguines sans saveur d’Emile Antile, rien à voir avec son illustre aîné Emilien, des cadences maîtrisées par les Martiniquais de Malavoi, grands rivaux autrefois de Kassav, et enfin les redoutables Vikings, un combo sans tabou sorti des années 70, quand ils faisaient danser toute l’île en cadences. Un peu à la manière de la vague actuelle autour des groupes d’Afrique de l’Ouest, la formule concoctée par ces grooveurs devant l’éternel, mériterait la réédition de leurs plus belles faces.
Outre la quinzaine de groupes du in, le festival off offrait quant à lui un large éventail de propositions artistiques, disséminées dans toute l’île. Au total, plus de 70 formations qui permettaient de mesurer la richesse du vivier local. "Le but, c’est aussi de favoriser l’exposition et l’exportation les jeunes artistes guadeloupéens", voit plus loin Desvarieux, tout en admettant avoir choisi "des artistes guadeloupéens qui soient au niveau pour pouvoir tenir la grande scène, avant ou après les Wailers." De ceux qu’on aura vus, nul doute que les locaux auront tenu leur rang. Comme Christian Laviso, guitariste qui s’est construit un son autour du ka et du jazz.
Lui, comme d’autres acteurs de la musique guadeloupéenne, s’étonne du peu de cas fait au tambour ka. "C’est pourtant là que se niche l’originalité de notre île. Jacob Desvarieux est même allé jusqu’à dire que les gens programmés en off étaient des musiciens amateurs qui devaient confirmer sur les scènes internationales. Mais moi je suis qui ?" insiste le natif de Pointe-à-Pitre qui vient d’enregistrer avec David Murray et de publier un disque où il convie Kenny Garrett. Nul doute que celui-ci comme d’autres annonce depuis bien longtemps d’autres lendemains. Justement, quid de l’an prochain : les noms de Soft, Tanya Saint-Val et quelques autres sont d’ores et déjà évoqués… mais toujours pas de ka à l’horizon !