La rencontre de Danyel Waro avec A Filetta

Le choc des îles

09/12/2008 -  Paris - 

Dimanche 7 décembre, Africolor accueillait au Nouveau Théâtre de Montreuil en banlieue parisienne, une création au sommet : la rencontre entre le symbole du maloya, Danyel Waro, et les chantres de la polyphonie corse, A Filetta. Quand ils conjuguent leur talent et que leurs îles s’unissent, la prestation touche forcément au sublime. Question d’alchimie. 

Un vent glacial souffle sur Montreuil en ce dimanche après-midi. Le Nouveau Théâtre ouvre ses portes comme une consolation, une promesse, celle d’embarquer vers des îles au parfum de vacances, de surfer sur une musique qui envoûte, possède, brise les entraves, gomme les contours du quotidien. Les noms des protagonistes – A Filetta et Danyel Waro – deux têtes d’affiche qui ne lésinent ni sur l’exigence artistique, ni sur la sincérité engagée, annoncent d’emblée un excitant périple. La salle comble témoigne de cet attrait exercé par le sorcier réunionnais et les magies polyphoniques. Restés à quai, quelques déçus se contenteront d’un maigre autographe.

Dès les premières mesures, l’alchimie submerge les heureux voyageurs, et "les murs de la salle s’écroulent tranquillement". Les embruns, le sel, les épices de l’Océan indien viennent chatouiller les narines, les flots ronflants lèchent les rouges fauteuils, le cœur-rouleur de la Réunion résonne dans les poitrines unies. C’est au "chaman" Danyel Waro que revient le privilège d’ouvrir cette exceptionnelle rencontre. Entouré de ses percussionnistes, l’artiste, aura et chevelure flamboyantes, jongle avec le ternaire imparable du kayamb. Comme toujours, il impose une présence de chaque seconde à sa musique, un tendre et ferme corps à corps, qui jamais ne vacille.

D'une île à l'autre

Sur ces fondements solides, d’autres sonorités s’élancent, douces d’abord, puis plus soutenues. La chaleur suave, la spiritualité ensoleillée de la Méditerranée s’invitent à leur tour, pour mêler, défi à la géographie, leurs eaux alanguies au tumulte. Danyel Waro et les corses A Filetta frottent leurs répertoires et leur patrimoine, pour un dialogue noué cœur à cœur. A de sublimes prières, soliloques intimistes et extatiques, succèdent des échappées sauvages – rayons de soleil fragmentaires – qui provoquent des spectateurs désespérément assis. Chacun raconte à l’autre son île, l’autre écoute, accompagne, accède à la beauté et au charme de ses secrets. La bande d’A Filetta, la main sur l’oreille, donne le répons à l’aventure murmurée ou clamée par Waro. Le Réunionnais, en retour, se laisse dériver sur les chants délicats et ciselés d’A Filetta.

Cette rencontre non préméditée, et finalement peu préparée – une seule semaine de résidence avant la première à la 20e édition des Rencontres Polyphoniques de Calvi – réserve une marge de surprise et de liberté, où se nichent la générosité et l’ampleur du projet. C’est parce que la forme de ces îles ne peut être jointe, comme des pièces du même puzzle définitivement dépareillées, que cette rencontre touche au sublime. Des deux rives, Danyel Waro et Jean-Claude Acquaviva, chef de chœur d’A Filetta, investissent cet espace laissé vide, sans pour autant fusionner. En jeu, ils mettent leur âme, leur amitié.

L’ambiance survoltée va crescendo dans la salle. Pour un peu, l’auditoire euphorique casserait ses fauteuils, quand la maloya-star virevolte, et bondit. Le solo d’A Filetta reçoit un triomphe ému. Au salut final, le public se lève comme un seul homme, pour acclamer ces héros. Les Corses quittent la scène, sur des pas de danse réunionnais.

Un seul mot pour achever cet hommage vaudra tous les discours : merci.

Anne-Laure Lemancel