Jane Birkin, en français dans ses textes
"Une chose est sûre : l’amour est très rarement partagé." Avec son sourire radieux et toujours un peu timide, avec sa manière toute droite de dire les choses essentielles, Jane Birkin résume d’un trait son album Enfants d’hiver, qui vient de paraitre. Surprise : elle a écrit elle-même tous les textes de son nouveau disque, dont les musiques sont signées Alain et Pierre Souchon, Hawksley Workman, Edith Fambuena (qui a réalisé l’album), Eric Lanty, Phil Baron, Franck Eulry, Bertrand Louis… Un disque tout en clairs-obscurs, en sentiments ébréchés, en tendresses douces-amères, qu’elle avait mis en chantier avant même de se lancer dans la longue aventure du spectacle Arabesque. Rencontre.
Nouvel album de chansons originales
"Une chose est sûre : l’amour est très rarement partagé." Avec son sourire radieux et toujours un peu timide, avec sa manière toute droite de dire les choses essentielles, Jane Birkin résume d’un trait son album Enfants d’hiver, qui vient de paraitre. Surprise : elle a écrit elle-même tous les textes de son nouveau disque, dont les musiques sont signées Alain et Pierre Souchon, Hawksley Workman, Edith Fambuena (qui a réalisé l’album), Eric Lanty, Phil Baron, Franck Eulry, Bertrand Louis… Un disque tout en clairs-obscurs, en sentiments ébréchés, en tendresses douces-amères, qu’elle avait mis en chantier avant même de se lancer dans la longue aventure du spectacle Arabesque. Rencontre.
RFI Musique : Alors vous écrivez naturellement en français ?
Jane Birkin : Oui, j’ai écrit des choses sur des morceaux de papier, comme ça, très vite, et c’était directement en français.
Vous avez écrit pour vous-même ou en pensant au public futur de vos chansons ?
Ça a commencé de manière très égoïste, comme on écrit son journal intime. Mais si j’étais parfois presque vulgaire, ou en tout cas très crue, c’est je pense parce qu’il y a un paquet de filles qui se sentent seules, qui ont le désir d’être aimées à cinquante ans. Vous avez déjà eu des enfants, est-ce que c’est si outrageant d’espérer un dernier amour ? Même sur des chansons marrantes, je pensais à d’autres vies. Si j’ai pris tant de plaisir à faire ces tournées, à parler après les films, à faire Boxes [son dernier long-métrage comme réalisatrice], c’était pour que les gens se sentent moins seuls. Toutes les mères ont des doutes. A la fin de leur vie, elles ne se demandent pas si elles ont été de bonnes actrices, si elles ont été capables d’écrire un bon bouquin, ou une pièce de théâtre, ou un disque, mais si elles ont été une bonne mère, si elles ont été à la hauteur…
Il y a dans votre disque une chanson très drôle, Oh comment ça va, dans laquelle vous agressez quelqu’un en des termes très inattendus, venant de vous...
C’était extrêmement drôle à écrire. En plus, je n’avais personne en particulier dans le collimateur, ce qui rendait tout plus gai à faire. J’ai repris notamment le texte que j’avais écrit pour Comédie !, un film de Jacques Doillon, que j’ai fait avec Souchon il y a vingt ans. Je lui disais : "de toute façon, si tu te remaries quand je serai morte, je serai là derrière les vitres et je ferai tellement peur à ta femme qu’elle ira vomir dans les chiottes, et même dans les chiottes elle verra ma gueule qui hurle !" Une histoire de jalousie où Jacques, à juste raison, m’avait laissée dérailler parce qu’il savait qu’il n’y avait personne d’aussi compétent dans ce domaine. J’ai repris ça pour les derniers vers de cette chanson. En fait, on est toujours si poli. La patience des gens qui font la queue dans les supermarchés m’épate, je suis surprise qu’il n’y ait pas plus de coups de folie, que les gens restent relativement sages. Quand je prenais le train, petite, j’allais dans les soufflets entre les wagons pour hurler, juste pour rester calme devant les gens. Autrement, le deuxième côté de moi sortait comme un diable et je me disais que je n’étais pas bonne, que j’avais un mauvais fond... Ce serait bien de pouvoir être de mauvaise foi, de dire "casse-toi !", "dégage !" et "merde !"
Il y a sur l’album une seule chanson en anglais, Aung San Suu Kyii…
Je l’ai écrite en anglais pour que ce soit international. L’autre jour, j’ai réenregistré pour RFI une partie du texte pour que les francophones aussi comprennent. Il faut agir : douze militants du parti d’Aung San Suu Kyii, arrêtés pendant les manifestations de septembre dernier, ont été condamnés l’autre jour à 65 ans de prison chacun. Et encore, ils n’en sont qu’à leur cinquième chef d’inculpation et ils doivent être jugés pour vingt-cinq autres. Ils mourront en prison si on n’est pas capable d’écrire à Ban Ki-moon, le Secrétaire général des Nations-Unies, et au président Sarkozy pour qu’ils remuent ciel et terre. Et on doit être capables de demander pourquoi Total est là-bas, pourquoi on continue à investir dans cette pourriture de régime.
Vous n’abandonnez pas vos engagements humanitaires…
Peut-être que les gens ont envie de faire plus que ce que les politiques imaginent. On vit tous avec une abondance de petites lâchetés : pourquoi je n’ai pas protégé tel mec hier, pourquoi je ne suis pas intervenu de manière plus efficace auprès de ce policier qui malmenait quelqu’un dans la rue… Je n’ai pas le sommeil si paisible : laisser passer tant de choses, ne pas avoir le courage d’être impopulaire, ne pas dire tout d’un coup les choses comme je les pense. Alors tout d’un coup après une multitude de petites lâchetés, on a la chance d’être avec les bonnes personnes au bon moment. Si je n’avais pas connu Patrice Chéreau et si je n’avais pas su que l’on pouvait aller à Sarajevo pendant le siège, je n’y serais pas allée, j’aurais continué à penser comme les autres Français qu’il n’y avait rien à faire, que les montagnes étaient trop hautes...
Ecoutez un extrait de Période bleue
Jane Birkin Enfants d’hiver (Capitol-EMI) 2008