Panorama électro 2008

De Justice à Sporto Kantes

La techno fait des incursions dans la pop ou le cinéma. Entre son versant minimal, façon Remote ou Scratch Massive, et son côté musclé, incarné par Justice ou 2 Many DJ’s, la troisième voie est étroite mais existe, avec par exemple Sébastien Tellier ou Mr Oizo.

Les musiques électroniques n’en finissent plus de muter. Leur ADN se mêle à celui de nombreux autres genres. Le rock et la pop, d’abord. Des groupes comme Hot Chip et Metronomy, ou bien avant eux les Chemical Brothers, ont brisé les frontières entre la musique des DJs pour danser et les guitares sur scène. Les publics autrefois irréconciliables du rock et de l’électro se retrouvent à écouter les mêmes disques. Cette tendance plutôt anglo-saxonne se vérifie aussi de ce côté-ci de la Manche. Les frères Dewaele, plus connus sous le nom de 2 Many DJ’s, quand ils sont derrière les platines, ou Soulwax lorsqu’ils prennent les guitares, sont les deux chimistes des déflagrations sonores, qui ont le mieux réussi cette greffe, décuplant l’énergie du rock et de l’électro en les combinant, comme le montre leur live sur CD et DVD sorti cette année.

Le duo parisien

a lui aussi beaucoup joué live, tournant aux quatre coins de la planète pour défendre son premier album sorti en 2007. L’énergie brute de leur musique convoque autant la disco, que les sons du hard-rock ou des B.O. de John Carpenter. Les deux garçons au look très travaillé auront également réussi à créer la polémique, d’abord avec un clip réalisé par Romain Gavras, reprenant les clichés des émeutes de banlieue, puis dans une moindre mesure avec le film très "borderline" de leur tournée, sorti sur DVD.

Autres greffes intéressantes dans le monde de l’électro : celles des mélodies pop de

sur son premier album Pain Disappears, conçu avec Franck Garcia, le dernier opus foutraque du duo

, rameutant jazz et musique klezmer, ou encore Gong Gong avec ses climats exotiques et envoûtants.

Electro-pop

Juan Trip porte bien son nom, avec un album d’expérimentations psychédéliques rétro-futuristes, Fireplace, très loin de l’électro de ses débuts. Après une longue absence,

lorgne lui aussi du côté de la pop, prenant pour la première fois le micro pour entonner les chansons de son Party Animals & Disco Biscuits. Adepte d’une techno-pop musclée,

revient en forme, tant niveau voix que machines, avec sa Batbox aux sonorités industrielles et new wave.

La pop s’est laissé gagner par l’électro. Ainsi,

accroche son côté dandy-Gainsbourg aux sonorités électroniques de Guy-Manuel de Homem-Christo, l’un des deux Daft Punk, venu l’épauler dans la production de son album concept Sexuality. Des mélodies sensuelles cajolant des ambiances très années 1980. Une nouvelle voie dans la chanson française ? Candidat au concours de l’Eurovision, Sébastien Tellier a provoqué un mini-débat : n’aurait-il pas dû chanter en français ? Une question qui ne se pose pas pour le duo

, qui après avoir voulu "racketé la house" s’est finalement attelé à un premier album pop abouti et funky, chanté en français. Là encore un album concept, autour des amours de deux joueurs de tennis.

Agoria au cinéma

Côté electro appellation d’origine contrôlée,

a immortalisé sur disque un mix langoureux et hypnotique, publié sur le label berlinois de référence Kompakt. Remote avec Dark Enough, annonce la couleur de sa musique, sur le ténébreux label d’Ivan Smagghe, Kill the DJ.

David Carretta et Arnaud Rebotini reviennent aux fondamentaux de la techno, avec respectivement Rodeo Disco et Music Components. Et Agoria arrive là où l’on ne l’attendait pas : tenté par l’aventure de la musique pour film, le Lyonnais produit son troisième album, inspiré par Go Fast, production de Luc Besson. Sa techno abrasive se fond parfaitement à ses chansons mélancoliques dans des atmosphères très singulières. Officiant également pour le cinéma (Broken English), le duo Scratch Massive montre sa maestria en concert (sur CD et DVD), en prouvant que le côté obscur de la techno n’est pas incompatible avec le groove et les déhanchements.

Sur le même label que Justice, le fameux Ed Banger, sort également un recueil de remixes vrombissants signés Sebastian, dans la lignée de Boys Noize. La jeune

, avec son premier album Targets, qui aligne les bombes techno et breakbeat, a de quoi lui répondre. Dans le genre missiles supersoniques, on suivra les remixes et productions des Rémois Brodinski et Yuksek, les Petits Pilous ou encore Surkin.

Un Oizo désabusé

Toujours sur Ed Banger, l’un des albums clés de 2008 est sans doute Lambs Anger de

, roi de la découpe de sons iconoclastes. Ce troisième album part dans tous les sens et tous les genres, et apporte un peu de fraîcheur à une électro tiraillée entre minimalisme et gros son sismique. Album ovni et désabusé, Lambs Anger est inquiétant avec ses ambiances virevoltantes et ses voix qui lancent : "Vous êtes des animaux !".

Autres labels français de référence, Kitsuné compile ses pépites électro-pop sur Kitsuné Maison 6 et Tigersushi publie le très réussi album de Poni Hoax et les remixes réalisés par le patron, Joakim. Images of Sigrid, second opus du groupe parisien, marie une pop ténébreuse teintée de new wave à des rythmiques électroniques implacables. Tout autant ténébreux, les Best Remixes de Joakim revoient Tiga ou Alter Ego de façon synthétique et martiale.

Sombre année dans l’ensemble donc pour l’électro. Heureusement, les deux compères de

, qui faisaient un temps studio à part, se sont retrouvés. Nicolas Kantorowicz avec son amour des samples de dub et de new wave et Benjamin Sportès avec son sens de la mélodie pop. 3 at last regorge de samples réjouissants et de refrains accrocheurs. Il serait temps que l’électro prenne exemple sur ces deux trublions pour s’acoquiner avec d’autres genres que la pop et le rock, et d’autres années que la décennie 1980.