La renaissance de Peio Serbielle

Peio Serbielle, musicien militant de la cause basque, continue avec Naiz ("Je suis"), de chanter son identité et son universalité. Chant d’amour à sa terre, Naiz est aussi un recueil contrasté des émotions de Peio Serbielle, où la douce rumeur du monde s’envole soudain aux quatre vents pour laisser apparaître, nu, le chant brut de l’amertume.

Un militant universel

Peio Serbielle, musicien militant de la cause basque, continue avec Naiz ("Je suis"), de chanter son identité et son universalité. Chant d’amour à sa terre, Naiz est aussi un recueil contrasté des émotions de Peio Serbielle, où la douce rumeur du monde s’envole soudain aux quatre vents pour laisser apparaître, nu, le chant brut de l’amertume.

Cet album porte en lui le parfum des premières fleurs qui repoussent sur un champ de bataille. Magnifique et douloureux. Premier volet d’une trilogie musicale voyageuse, Naiz veut replacer le Pays basque au cœur du concert des nations et le musicien Peio Serbielle de plain-pied dans le monde et dans son art.

Musicien, militant pacifiste pour la préservation de la langue et de la culture basque depuis la fin des années 1980, Peio Serbielle est aussi un infatigable voyageur. La musique de Naiz fleure bon les rencontres fortuites et les liens solides. Un peu d’Argentine, un peu d’Espagne, de Cuba, et bien sûr beaucoup du Pays basque. Peio Serbielle insiste donc : sa musique n’a rien à voir avec le folklore basque ("qui est une musique morte") ni même avec la tradition. "Je fais une musique basque métissée, ouverte sur le monde", insiste-t-il. Pour restituer cette volonté d’ouverture, le disque a été enregistré dans une pièce de la maison de Peio, puis a voyagé au gré des invités, dans les villages de montagne ou à Bayonne pour travailler avec le chœur amateur Xaramela … "J’aime l’idée que la technique va vers les gens et donc ce studio mobile m’a permis d’enregistrer en toute liberté."

Naiz signifie "je suis de cette terre" et les deux autres volets de la trilogie Zara ("tu es sûrement d’ailleurs") et Gara ("nous sommes de cette même planète"), porteront la même marque. Celle de l’ouverture. Depuis plusieurs années, Peio s’entoure de musiciens des quatre coins du monde : Patrick Bebey, fils du célèbre chanteur camerounais Francis Bebey, un percussionniste uruguayen Pajaro Canzani, le multi-instrumentiste argentin Daniel Diaz… Et même du chanteur Renaud, en duo avec lui sur le morceau Kixmi. "En fait, Renaud, c’est une vieille histoire. Je l’ai rencontré au début des années 1990 et la première phrase qu’il m’a dit c’était : "Comment vont les ikastolak ? ", les écoles basques. J’ai tout de suite su qu’on allait s’entendre, car il s’est toujours engagé pour des causes peu consensuelles…" Kixmi raconte en basque une légende, celle de l’arrivée de Jésus-Christ dans un village basque aux croyances polythéistes, puis l’imposition du christianisme, les procès en sorcellerie et la diabolisation des croyances traditionnelles…La fin d’un monde.

Fracture


Kixmi est, avec Le Tango de Risas, l’un des derniers morceaux de la première partie du disque. "Tout bascule avec le morceau Guernika 2. Le début de l’enregistrement en 2007 correspond au 60e anniversaire du bombardement de Guernika par l’armée allemande. Alors ce morceau rend hommage à cette ville, à ses morts, à ses vivants et fait écho au Guernika de Mikel Laboa, un vieux musicien respecté au Pays basque." Et décédé le 1er décembre dernier, dans un étonnant silence national. Cette fracture purement symbolique fait revivre une page douloureuse de l’Histoire et permet d’ancrer la suite du disque dans celles, récentes, qui ont marqué la vie de Peio Serbielle. "Oui, les circonstances de création de l’album ont été rudes", ajoute pudiquement le musicien. Les "circonstances" sont en fait son emprisonnement le 8 octobre 2004... et sa libération en 2006.

Peio Serbielle replante longuement le décor du problème politique basque. Se distance des partis qui défendent la cause. "Je suis impliqué artistiquement, c’est tout. Je suis musicien et je chante pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes." Emprisonné pendant seize mois pour "délit d’hospitalité", il est accusé d’avoir hébergé des hommes en cavale proches de l’ETA (pour Euskadi Ta Askatasuna, "Pays basque et liberté" en basque, ndlr). Il n’était pas au courant, plaide-t-il.

Il se trouve aujourd’hui sous contrôle judiciaire et sans date de jugement. "Mon père a été blessé et accueilli par des résistants en 1944. Si personne ne lui avait ouvert sa porte, il serait sans doute mort. Du coup, l’hospitalité, c’est un peu une tradition dans la famille, en plus d’en être une dans la région. Mon père s’est battu pour la France et a reçu la Croix de Guerre et la légion d’honneur. Moi, je chante mon pays, ma terre, c’est tout." La dixième plage de l’album est un extrait de Radio Pays qui diffuse de 22H30 à minuit des messages de la famille et des amis de prisonniers politiques basques. Ami(e)s, voisins, musiciens, du pays basque français et espagnol, lui transmettent donc leur soutien avec souvent beaucoup d’émotion.

Pour Naiz, il imaginait un projet d’envergure, transfrontalier, qui aurait réuni différents artistes du Pays basque français, espagnol, et d’ailleurs. Il voulait emmener "la force basque" à Bercy. Mais les mêmes "circonstances" et son interdiction de quitter le territoire l’ont contraint à "réduire la voilure". Pourtant, on sent cette vraie "force basque" dans Naiz, qui célèbre avant tout la renaissance à la vie d’un homme et d’un musicien.

Babel, le premier morceau du disque, invitation sensuelle au voyage et à la danse, au monde et à ses murmures, a été composé en prison. Dans les 7 m2 d’une cellule entre Angoulême et Moulins. Libéré au printemps 2006, Peio commence à enregistrer en décembre de la même année. C’est d’ailleurs ce qui donne à l’album toute sa singularité : il porte en lui la saveur inouïe de la liberté et celle, plus sombre, de la douleur et de l’amertume.

 Ecoutez un extrait de

Peio Serbielle Naiz (HK Records) 2008