Niominka Bi, soldat reggae

Vétéran de la scène reggae francophone, le groupe Niominka Bi emmené par le Sénégalais Souleymane Sarr construit un nouveau pont entre l’Afrique et la Jamaïque, via la France, avec les chansons de son nouvel album intitulé Shalom Salam.

Shalom Salam, message de paix

Vétéran de la scène reggae francophone, le groupe Niominka Bi emmené par le Sénégalais Souleymane Sarr construit un nouveau pont entre l’Afrique et la Jamaïque, via la France, avec les chansons de son nouvel album intitulé Shalom Salam.

 

Il y a des expériences qui, à tout jamais, laissent des traces indélébiles. Shalom Salam, le quatrième album de Niominka Bi, en porte la marque jusque dans son titre. De sa mission au Liban, effectuée au tout début des années 1980, Souleymane Sarr est certes revenu intact physiquement, mais ces neuf longs mois passés au service des Nations unies ont transformé le jeune homme d’alors. A dix-neuf ans, il s’était engagé dans l’armée sénégalaise avec les idéaux de son âge, persuadé de l’utilité d’être "casque bleu". Sur le terrain, il a réalisé que la présence de ces troupes "ne servait pas à grand-chose". "C’était juste du tape-à-l’œil pour que le monde se dise qu’il faisait quelque chose", commente-t-il aujourd’hui.

L’épisode a servi de révélateur et nourrit toujours en profondeur la réflexion de ce fils de militaire devenu un infatigable militant pacifiste. Ces nouvelles chansons en témoignent, qu’il évoque le conflit israélo-arabe entre "ces frères du même père" dans Shalom, ou encore à travers le texte d’Une mère me dit qui fait remonter à la surface le souvenir des larmes versées par sa mère à son départ vers le Moyen-Orient, une nuit de novembre : "Elle pensait que j’allais à la guerre et que je n’allais pas revenir, alors que moi je croyais être un soldat de la paix."

Parcours

C’est sous l’uniforme du reggae que Souleymane a choisi de continuer à défendre ses convictions après avoir assisté à un concert du Jamaïcain Burning Spear à Dakar. Avec son timbre aigu, ses mélodies empreintes des traditions sérères, sa musique attire l’attention de François Hadji-Lazaro. Le chanteur des Garçons Bouchers décide de produire le groupe qui s’est installé à Bordeaux, en France.

Après Immigré et Fat Y Yoon, deux albums remarquables enregistrés successivement en 1993 et 1994 pour le compte du label Boucherie Productions, Niominka Bi trouve le soutien de Dennis Bovell, chef d’orchestre du dub poète Linton Kwesi Johnson, pour réaliser Tolérance en 2001. Si elle ne bénéficie pas de l’engouement – passager – pour le reggae que connaissent à l’époque certains artistes français, la formation sénégalo-bordelaise possède toutefois une base fidèle qui lui permet de résister aux effets de mode et de revenir sur le devant de la scène, sept ans plus tard, avec Shalom Salam.

Ce nouveau disque, autoproduit, est d’abord le fruit d’heureuses retrouvailles avec Winston McAnuff. Ce Jamaïcain cinquantenaire, qui a fait ses débuts dans les studios de Kingston dans les années 1970, a démarré une nouvelle carrière en France grâce à ses collaborations avec Java et Bazbaz. Lors de son premier séjour en 1984, il s’était lié avec Souleymane, arrivé depuis peu de son pays, via l’Espagne. "C’est lui qui nous a poussés à sortir de la cave où on répétait, à venir faire des concerts", se souvient le Sénégalais.

Visite en Jamaïque

Quand McAnuff l’invite à lui rendre visite en Jamaïque en 2006, il saisit l’occasion pour enfin découvrir l’île de Bob Marley. "J’ai pu aller dans le ghetto, rencontrer Ijahman, U Roy, Gregory Isaacs…", raconte-t-il avec un sourire qui en dit long sur le plaisir pris à avoir échangé avec ces vedettes du reggae.

En un mois et demi, il a aussi été beaucoup question de musique. Dix chansons au total. Quatre d’entre elles seulement figurent sur le nouvel album. Les autres, il les garde pour le prochain ! Sur place, son hôte le fait profiter de son réseau et lui présente en particulier Cedric Myton du trio Congos. Entre l’auteur de Fisherman ("pêcheur"), un classique du reggae des années 1970, et "l’homme de la mer" natif des îles du Saloum, le courant passe aussitôt. Comme par magie, la version instrumentale de ce chef d’œuvre de 1976 mixé à l’origine par Lee Perry sort d’un tiroir et voilà Souleymane en train de poser sa voix dessus, avec l’aide de l’ingénieur du son Clive Hunt (Pierpoljak, Alpha Blondy…) !

D’autres anciennes bandes sont réutilisées de la même façon, donnant une consistance inattendue, parfois très surprenante, à Shalom Salam, car le reste de l’album est composé de morceaux joués avec les musiciens habituels de Souleymane après son retour en France, à l’image de cette seconde reprise de Fisherman rebaptisée Joowal. Puisque l’amitié est son véritable moteur, le chanteur de Niominka Bi n’a pas voulu privilégier son escapade caribéenne aux dépends de son groupe bordelais. Une démarche cohérente pour un artiste qui ne cesse d’appeler les hommes à s’unir au lieu de céder aux tentations de la division.

 Ecoutez un extrait de

Niominka Bi & N’Diaxas Band Shalom Salam (Makasound/Pias) 2008